Week-end suite 60

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Pendant un moment, Nicolas crut qu'il ne parviendrait pas à retrouver l'endroit où la 206 avait quitté le sentier avant de s'encastrer dans les arbres. Le brouillard était si épais qu'il leur fallait littéralement progresser à touche-touche. Ils étaient tous effrayés à la pensée de se perdre de vue ne serait-ce qu' une seconde. L'enseignant chuchotait des encouragements, tentait une blague idiote de temps en temps pour détendre l'atmosphère et empêcher les enfants d'imaginer le taureau divaguant dans la campagne.

- Et s'il surgit du brouillard, devant nous, brusquement ? murmura Kate à son oreille pour que Sébastien et Julie ne l'entendent pas.

Nicolas toussota avant de répondre :

- Si le brouillard est un handicap pour notre visibilité, c'en est un pour la sienne également, je te l'ai déjà dit... Certes, il peut nous surprendre mais le brouillard nous dissimule aussi. Soyons vigilants et attentifs au moindre bruit de pas ou de branches car ce mastodonte ne sera jamais aussi discret que nous. Nous l'entendrons forcément arriver ...

L'étudiante ne prolongea pas la conversation et retourna auprès de Julie qui agrippa sa main.

- Cette souche d'arbre, sur cette butte... ça me dit quelque chose... dit Nicolas en s'arrêtant. La voiture doit avoir basculé de ce côté...

Il quitta le chemin, suivi des autres. La 206 se laissa deviner avant d'apparaître définitivement derrière les pans déchiquetés de brouillard. Elle avait toujours cette allure d'animal mort ou moribond, abandonné par un prédateur qui s'en serait très vite désintéressé.

- On n'y voit que dalle, constata Sébastien, dépité. Comment peut-on retrouver la carabine au milieu de tous ces débris et ces branches cassées ?

- Nous allons essayer, au moins. La dernière fois, avec... avec Johann, je n'ai pas eu le temps de pousser un peu plus les investigations mais, sait-on jamais ? Avec un peu de chance, l'arme est ici, tout près de nous... Je vous rappelle que nous risquons également de découvrir le... le corps de Christophe.

Ils se séparèrent en deux groupes. Christophe ayant censé avoir été éjecté du véhicule - et pour épargner la vision de son cadavre aux enfants - Nicolas décida de s'aventurer en compagnie de Kate dans les broussailles qui dissimulaient l'avant de l'automobile. Si cadavre il y avait, il ne pouvait se trouver que dans ce périmètre. Les ronciers le camouflaient peut-être. De leur côté, Sébastien, Julie et l'inséparable Scarlett fouillaient l'intérieur de l'automobile.

- Papa... s'écria soudain Sébastien.

- Chut, bon sang ! Tu veux nous faire repérer, ou quoi ?

- Désolé, poursuivit l'adolescent en baissant d'un ton. Julie vient de découvrir deux cartouches, dans la pochette latérale d'une portière, c'est génial non ?

Nicolas jaillit des ronciers, le visage griffé, tandis que Kate continuait à chercher.

- Fais-moi voir !

Il félicita sa fille avant de glisser les deux cartouches dans la poche de son blouson.

- Il nous faut cette fichue carabine à présent, maugréa Nicolas plus pour lui-même qu'à l'attention de Sébastien et de Julie. Sans elle, les cartouches ne nous seront d'aucune utilité...

Sans répondre à son père, l'adolescent fut soudain traversé par une intuition qui s'avéra payante. Il s'agenouilla dans l'herbe , glissa son long corps dégingandé sous le pare-chocs arrière.

- Putain j'y crois pas ! s'écria Sébastien en tirant l'arme vers lui. On pouvait pas la voir car des feuilles sans doute amenées par le vent la dissimulaient.

- Oh ! Papa... Seb il a dit un gros mot !

Nicolas n'eut pas le temps de s'attarder sur l'expression scandalisée qu'arborait le visage de la fillette. Il fixait la carabine dans les mains de son fils, se demandant s'il n'était pas en train d'imaginer que celui-ci avait bien découvert l'arme à force de vouloir tant y croire. Le contact glacé du fût de la carabine contre sa paume le convainquit qu'il ne rêvait pas. Il serra Sébastien contre lui puis annonça à l'étudiante que leur quête était terminée. Ils avaient enfin la possibilité de se défendre. En revanche, le corps de Christophe restait introuvable...



Elle poussa un cri de surprise quand Kévin surgit soudain dans l'embrasure de la porte. Elle venait de le laisser sur son canapé, presque inconscient et voilà qu'il avait eu assez de force pour se rendre jusqu'à la salle de bains et l'y surprendre.

Instinctivement, elle leva le tisonnier, prête à défendre son existence mais le blessé s'effondra dans le couloir. Il arborait un visage exsangue, transpirait abondamment, dégageant une odeur âcre, piquante. Malgré sa peur, Marie aida le jeune homme à se relever et le raccompagna au salon pour qu'il s'allonge à nouveau.

- Vous... vous êtes revenue ? Depuis longtemps ?

- Quelques minutes, tout au plus... Ma jambe me fait tellement souffrir qu'il m'a fallu renoncer à l'idée de parcourir ces kilomètres à pied jusqu'au village alors j'ai pris la décision d'abandonner le groupe pour attendre les secours ici, avec vous...

Il la dévisagea un instant, presque haletant, avec de grands yeux effarés. Marie avait l'impression qu'il allait s'évanouir d'une seconde à l'autre.

- C'est très égoïste ce que je vais vous dire car je sais – et c'est bien normal - que vous me craignez mais je ... je suis content que vous... enfin que l'un d'entre vous soit resté dans la maison avec moi... Je... si je dois mourir, je ne serai pas seul, vous comprenez ?

Elle faillit lui répondre que lorsqu'ils les avaient persécutés pendant des heures, lui et ses copains, ils n'avaient pas alors songé à leur propre terreur mais le moment n'était plus à de telles considérations et sa réponse fut toute autre.

- Vous ne mourrez pas. Si vous restez gentiment sur ce canapé, tout se passera bien. Nicolas va revenir avec une ambulance et on nous conduira à l'hôpital...

Pourquoi vous êtes-vous levé d'ailleurs ?

- Je meurs de soif... Je voulais boire au robinet du lavabo, c'est tout.

- Je vais aller vous chercher un verre d'eau et humecter un gant pour vous rafraîchir un peu...

Il lui sourit, timidement d'abord puis de plus en plus franchement.

- Qu'est-ce qui vous amuse à ce point ?

- Il y a quelques heures, quand vous nous avez vu revenir Johann et moi, vous vouliez nous jeter dehors alors que le taureau rôdait autour de la maison, et à présent...

Elle se raidit, piquée au vif.

- J'ai réagi par impulsivité... par peur aussi probablement mais je ne suis pas un monstre.

- Alors que nous...

Il ne termina pas sa phrase mais ses yeux se voilèrent comme si le rappel des événements des heures précédentes ressurgissait dans sa mémoire. Marie eut soudain pitié de lui, sans vraiment savoir pourquoi mais quelque chose de tragique émanait de ce garçon, une sorte de fragilité singulière qu'elle n'avait pas encore décelée jusqu'à présent et qui se révélait maintenant, emplissant chaque recoin de la pièce.

- Je ne sais pas si vous autres êtes des monstres, reprit Marie, et ce n'est pas à moi d'en juger...

- Je regrette tellement tout ce qui s'est passé, si vous saviez, mais au moins, je n'ai tué personne, madame...

Elle frémit et fronça les sourcils :

- Pourquoi dites-vous cela ? A quoi faites-vous allusion bon sang !

- A rien... rien du tout.

Il se tut et elle comprit qu'elle ne tirerait plus rien de lui. En tout cas, pas maintenant.

Elle se dirigea vers la cuisine à petits pas et entendit Kévin murmurer un timide « merci » au moment où elle sortait du salon.

A SUIVRE...


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