Une semaine plus tard, Naïm était parti enterrer son père au Maroc. Je lui avais proposé de l'accompagner, mais il avait préféré y aller avec sa famille, ce que je comprenais.
Sami m'avait rejoint chez moi, il fallait que je parle avec lui. Nous étions assis sur mon canapé, j'ouvris une bouteille de vodka, et en bus une gorgée directement au goulot. Mon ami me prit la bouteille des mains, et m'imita.
- Il faut vraiment qu'on en parle ? me demanda-t-il.
- Oui, me contentai-je de répondre.
- C'est juste un petit coup de mou, expliqua-t-il en regardant au loin.
- C'est pour cette raison que je t'ai demandé de venir seul. Je peux comprendre mieux que personne ce que tu ressens.
- Bon ok, lâcha-t-il.
Il garda quelques secondes le silence, prit une nouvelle gorgée de vodka, puis d'une voix tremblante se livra à moi.
- Naïm a perdu son père, mais lui au moins il a été aimé et éduqué. Je suis réellement triste pour lui, mais je le suis encore plus pour nous.
Je lui pris la bouteille, et bus une nouvelle gorgée. Mon regard fixait l'écran noir de ma télévision, mon esprit se perdait en essayant de me remémorer des souvenirs de mon géniteur. C'était peine perdue, je n'en avais aucun, quelques brides tout au plus. Je tendis la liqueur à mon ami qui en reprit sans se faire prier.
- Est-ce que tu te rends compte que nos pères sont bien vivants, et ont choisi délibérément de ne pas faire partie de nos vies ? me demanda-t-il tristement.
En entendant ses paroles, des larmes quittèrent mes yeux pour rouler lentement sur mes joues. Nous étions deux enfants ayant grandi sans figure paternelle qui noyaient tristement leur chagrin. Mon ami et moi avions cette même blessure que nous nous efforcions de cacher, mais les personnes ayant évoluées dans une famille monoparentale savent se reconnaitre entre elles. Nous nous apercevons les uns dans les autres.
- Je me demande ce que nous avons pu faire étant enfants pour qu'ils ne veulent pas de nous, continua Sami au bord des larmes.
Des sanglots faisaient trembler sa voix. Je ne l'avais vu pleurer que très peu de fois, sa tristesse me bouleversa. Il était un grand gaillard, mais sa nature profonde était sensible et écorchée par la vie. Le décès du père de Naïm nous avait renvoyé à notre abandon avec violence. Je fermai les yeux pour concentrer mes forces, et ne pas céder aux pleurs qui tentaient de faire craquer le barrage de mes sentiments.
- Pourquoi est-ce qu'il m'a abandonné ?! s'énerva Sami les yeux empli de larmes.
Nous y étions, il fallait que les mots sortent. Je gardai le silence ne sachant quoi répondre. D'autres personnes auraient tenté de le raisonner, de trouver une explication plausible, mais ayant vécu la même expérience, je savais que cela ne servait à rien. Sami prit son visage dans ses mains et essuya ses larmes ruisselantes.
- Ce n'est pas de notre faute, répondis-je doucement. Quand tu auras des enfants, tu seras présent pour eux. Tu ne feras pas les mêmes erreurs que lui.
- Ouais, t'as raison, concéda-t-il en reniflant. Et puis, grâce à Dieu, nous avons encore nos mères.
- De véritables guerrières, souris-je. Ca doit pas être facile d'élever des enfants seule...
Sa tête tomba sur mon épaule, puis nous laissâmes le silence prendre sa place pendant plusieurs minutes.
- Ca va mieux ? lui demandai-je.
- Ouais, t'avais raison de me pousser un peu, admit-il.
- Quand je vais dire aux autres que t'as chialé comme une gamine... le taquinai-je.
Il rit bruyamment à ma remarque, signe qu'il reprenait du poil de la bête.
- Merci d'être là Aly, me sourit-il. Depuis toutes ces années.
- Et pour des décennies encore, ajoutai-je.
Je déposai un baiser sur sa joue, puis nous passâmes la soirée à regarder des épisodes de Friends et à fumer des joints. Des larmes, de l'émotion, un peu de philosophie, une vraie soirée fille...
*
J'étais au travail en train d'éplucher des déclarations de sinistres quand mon téléphone me sortit de mes pensées.De 0685485685 : Je suis en bas.
Ces quelques mots suffirent à accélérer violemment mon rythme cardiaque. Trois semaines étaient passées, j'allais enfin retrouver Ken. Nous nous étions appelés tous les jours sans exception. Il m'avait si bien raconté ses journées que j'avais l'impression d'être restée avec lui durant tout son séjour. Il n'était que dix-sept heures, mais je quittai immédiatement mon poste pour aller le retrouver.
Sur son scooter, ses yeux souriants m'observèrent approcher de lui. Sans un bonjour, il m'embrassa passionnément, et me prit dans ses bras. J'absorbais toute la tendresse qui émanait de lui en savourant notre étreinte.
- Je croyais qu'on ne devait se voir que ce soir, lui dis-je.
- Ouais, mais j'étais trop pressé de te voir mon Aly, répondit-il dans un sourire. Ca te dit d'aller au studio pour écouter ce qu'on a fait ?
- Oui bien sûr.
Je mis le casque et les gants qu'il me tendit, puis montai derrière lui. Une fois arrivée, je saluai les garçons qui étaient bien sûr présents. J'avais compris que sortir avec Ken, c'était aussi adopter ses amis.
- Ma petite Aly ! cria Doums.
- Alors toi, si il y a pas Ken, tu prends pas de nouvelles, me reprocha Framal.
- Je te rappelle qu'on est sorti en boite sans lui, rétorquai-je.
- C'était il y a un mois, bougonna Framal.
- Je te promets de me rattraper, lui répondis-je en lui faisant un clin d'œil.
- Te rattrape pas trop quand même, intervint Ken en passant une main ferme sur ma taille.
- On a qu'à sortir demain soir, proposa Mekra.
- On verra, répondit Ken. Pour l'instant, je veux que vous écoutiez ce morceaux et que vous me disiez ce que vous en pensez.
Il brancha une clé usb sur l'ordinateur, et lança sa musique.
Quand j'raconte l'espoir sous une lampe halogène
J'aimerais qu'mes élans parlent aux jeunes
J'te parle de tout c'qui fait un homme, non pas nos gènes
Non pas c'qu'on t'laisse voir
Mais tout c'qu'on t'cache quand ça nous gêne
Auxquels on pense toute la noche, jambes allongées devant nos chaînes
Cette impression de perdre son temps, s'étouffer dans cette vie toute faite
Se sentant faible en sachant qu'la vie est une fête où personne danse
Ma deuxième mère m'a dit "c'est pas pour leur argent que les meilleurs prient"
J'pleure celui qui meurt jeune mais encore plus celui qui meurt triste
J'm'intériorise et j'me r'plie, les cris d'une jeunesse meurtrie
Imprégnant mon humeur, j'vois les leaders imposer leur tri
Parfois j'me sens amoindri
Mais quand j'fous la merde c'est à moi d'rire- Ca tue ! s'exclama Doums.
- Ton album va cartonner ! approuva 2zer.
Ken se tourna vers moi, attendant ma réaction.
- C'est super, comme d'habitude, le rassurai-je. Tu es né pour ça.
- Waaah, ça c'est du compliment ! rit Doums.
Ken oubliant sa pudeur, m'embrassa devant tout le monde. Je lui rendis son baiser avidement, sa langue caressa la mienne.
- Bon ça va peut-être aller, ricana Mekra. Ou alors on vous laisse si vous voulez fêter vos retrouvailles sur la table de mixage.
- Oui, laisse-nous s'il te plaît, le taquinai-je.
Ken me lança un sourire conquis, puis nous nous séparâmes ne voulant pas gêner les autres plus qu'ils ne l'étaient déjà. Après avoir écouté le reste de la musique, et que les garçons y aille chacun de leur conseil, je partis avec Ken. Nous finîmes la soirée dans mon appartement en laissant nos corps impatients savourer leurs retrouvailles.
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A l'ombre de ta lumière
FanfictionAlyssa, jeune femme de vingt-cinq ans, vit sa vie comme elle l'entend. Tout son monde va basculer lorsqu'un soir, elle rejoint son cousin Orelsan au studio pendant qu'il enregistre un titre avec le rappeur Nekfeu. La jeune femme le connait seulement...