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Je vivais des vacances de rêve aux côtés de l'homme que j'aimais. Nous marchions main dans la main dans les rues de Rio sans que personne ne vienne perturber notre bonheur en nous demandant une photo de nous.

Ken ne voulant rien rater, il nous avait préparé un programme de toutes les beautés de la région à découvrir. Je l'avais supplié de nous laisser au moins nos matinées pour nous reposer. Il avait accepté en bougonnant légèrement, mais je lui avais expliqué que les grasse matinées faisaient aussi partie des vacances.

J'avais finalement accepté de faire un baptême de plongée avec lui. A mon plus grand étonnement, j'avais adoré cette activité. Nous étions partis au large de la côte avec des guides et d'autres touristes. J'avais laissé ma peur du grand requin blanc de côté, puis m'étais lancée dans cette découverte incroyable. Nous nagions parmi des bancs de poissons multicolores. Le guide nous avait montré des épaves de bateaux, et nous croisâmes à plusieurs reprises le chemin de raies. Elles nageaient avec grâce et délicatesse avant de se couvrir de sable pour se protéger des prédateurs.

La visite des favelas me rappela brutalement la phrase que j'avais dit à Nawelle quelques jours plus tôt. Quand on observe ceux qui ont plus, il faut se rappeler de ceux qui ont moins. Les petites habitations s'étalaient à perte de vue dans une misère qui me mit extrêmement mal à l'aise.

Cette visite me fit sentir presque honteuse de gagner autant d'argent, et de ne pas le partager. Mais que pouvions-nous pour ces gens ? Et si nous devions agir, ne devrions-nous pas le faire chez nous, en France ? Même si notre pays natal était considéré comme développé par rapport au Brésil, des millions de foyers peinaient à finir les fins de mois, et le terminaient régulièrement à découvert de plusieurs centaines d'euros. Je connaissais ce mal, car un an et demi plus tôt, j'étais dans ce cas.

En voyant la pauvreté de cette partie de la ville, je me promis de m'investir davantage dans l'aide aux autres si je venais à tourner de nouveaux films.

Tous les soirs, nous dînâmes dans des restaurants différents. Nous choisissions de préférence, de petits établissements ne payant pas de mine pour manger réellement local. A chaque fois, je priais pour ne pas tomber malade, ce qui fit rire Ken à de nombreuses reprises.

Un soir, nous finissions notre repas, attablés sur la terrasse d'un restaurant. Une petite place était face à nous, un groupe de musique jouait et chantait de la musique traditionnelle. Une dizaine de couples dansaient sur le rythme endiablé des notes latines.

- On pourrait vivre ici pour toujours, rêvai-je à haute voix en regardant le spectacle de rue.

- C'est vrai que c'est tentant, répondit Ken en s'imaginant lui aussi rester dans ce pays.

- En plus, on s'est toujours pas engueulé, ris-je.

- Les vacances ne sont pas encore finies.

Il me sourit malicieusement, fier de sa plaisanterie.

- Alyssa Sania, me feriez-vous l'incommensurable honneur d'être ma cavalière ?

- Tu veux aller danser ? m'étonnai-je.

- Oui, c'est ce que ça veut dire quand quelqu'un te demande d'être sa cavalière.

Je levai les yeux au ciel en souriant, puis glissai ma main dans la sienne tendue vers moi.

- J'en serai enchantée Ken Samaras.

Nous nous faufilâmes entre les danseurs déjà présents, puis entamâmes une salsa improvisée. Nous étions heureusement tous les deux doués en danse. Les mains de Ken me guidèrent en suivant la musique dont le rythme était intensif.

Je me perdis dans son regard qui ne cessait de me contempler, me faisant me sentir unique. Nos corps collés l'un contre l'autre se mouvaient en profitant de chaque contact aussi infime était-il. J'avais l'impression que les passants avaient déserté la place, que toute trace d'humanité s'était évaporée pour nous laisser. Seule la musique continuait de résonner dans mes oreilles, mon unique point de repère était les yeux sombres de cet homme dont je ne pouvais plus me passer.

A la fin du morceau, Ken m'embrassa. Ce baiser n'était, ni sauvage, ni fougueux, mais empli de sentiments que je ressentis à travers lui. Pendant de longues secondes, il continua à m'embrasser lentement, comme s'il savourait le goût de mes lèvres totalement abandonnées aux siennes. Dans une douleur écrasante, il se détacha de moi, puis la population sembla réapparaître à nos côtés. Les terrasses étaient de nouveaux pleines de clients, les couples à nos côtés avaient repris leur danse. Nous décidâmes de rentrer dans notre maison pour terminer la soirée en tête-à-tête.

Une fois arrivés, nous sortîmes sur la plage privée qui nous était réservée, et nous nous allongeâmes dans le sable froid en regardant les quelques étoiles timides qui avaient réussi à percer la pollution lumineuse de la ville. Les lumières de la terrasse éclairaient légèrement nos corps. Ken profita de ce moment pour prendre une photo de nous. Il me montra le cliché laissant apparaître nos jambes enlacés les unes entre les autres, avec au loin la lune se reflétant sur l'océan.

- C'est vrai que tu es un bon photographe, le taquinai-je.

Il ricana, puis s'assit rapidement.

- On va en faire une autre, dit-il amusé.

Il partit dans notre habitation chercher quelques bouquins ainsi qu'une perche à selfie que l'hôtel avait mis à notre disposition. Il accrocha son téléphone dessus, et déposa l'objet sur la pile de livres. J'étais étonnée de l'entrain qu'il mettait à accomplir sa mission, mais je le laissais faire, amusée par son côté enfantin. Il enclencha la minuterie de l'appareil photo de son mobile, puis m'attrapa la main. Je le suivis jusqu'au raz de l'eau, avant qui ne dépose ses mains sur ma taille, les miennes trouvèrent leur place le long de sa nuque.

- Regarde-moi, dit-il amusé.

J'obéis en me perdant dans la noirceur de ses yeux. Nous restâmes quelques secondes à nous observer, j'aurais pu passer des heures ainsi. Après être sûr que la photo fut prise, il me délaissa pour se jeter sur ton téléphone.

- Elle est magnifique, sourit-il heureux de son œuvre. J'ai activé le mode nuit pour un meilleur rendu.

Je regardai le cliché qui dévoilait deux ombres l'une contre l'autre. La lune éclairait nos corps, sa lumière traçait un sillage sur l'eau remontant jusqu'à nous.

- C'est pas mal, le taquinai-je.

Il leva les yeux au ciel, puis je le vis poster la photo sur son compte Instagram. En légende, il inscrivit seulement deux flammes.

- C'était pour tes fans, dis-je légèrement déçue.

- Non, sourit-il, c'était pour crier au monde à quel point je suis bien avec toi.

Sa réponse me surprit, et réchauffa mon cœur. A peine quelques secondes plus tard, des dizaines de notifications lui indiquèrent que les gens aimaient ou commentaient la photo.

Nous nous rallongeâmes sans prendre la peine de les regarder en détails. Je déposai ma tête sur son torse, tandis que les doigts de Ken se baladèrent comme à leur habitude dans mes cheveux. Je me laissais lentement bercer entre le bruit des vagues s'échouant sur la plage, et la mélodie de son cœur. La fatigue ordonna à mes paupières de se fermer, me priant de me laisser succomber à un peu de repos.

Quelques minutes plus tard, je sentis les bras de Ken me soulever, puis me porter jusqu'à notre lit. Il se glissa près de moi, et recouvra nos corps de la délicieuse couette. Son corps se lova contre le mien, je me rendormis en laissant mon esprit s'échapper dans un monde qui n'appartenait qu'à moi.

A l'ombre de ta lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant