A l'ombre de ta lumière

#72

Point de vue de Ken

Nous attendions dans l'aéroport depuis déjà de longues minutes le père d'Aly qui ne donnait pas signe de vie. Plus le temps passait, et plus je voyais l'inquiétude gagner son visage. Elle avait essayé à plusieurs reprises de l'appeler, mais tombait sans cesse sur son répondeur. Je commençais à bouillonner intérieurement en devinant la suite des événements.

Lorsque le téléphone d'Aly sonna, elle se précipita pour répondre en s'éloignant de moi de quelques mètres.

- Je t'attends, où est-ce que tu es ? L'avion part dans trente minutes, dit-elle rapidement.

Je n'entendis pas la réponse de son père, mais je vis la jeune femme passer sa main dans ses cheveux. Ses yeux ne quittaient pas du regard le sol gris de l'aéroport. Elle balbutia quelques mots que je ne parvins pas à cerner, puis raccrocha. Son regard resta suspendu sur son téléphone pendant plusieurs secondes. Elle ne bougeait pas d'un centimètre, figée dans l'espace.

Je m'approchai d'elle, et caressai son dos lentement. Lorsqu'elle releva son visage vers le mien, ses yeux étaient embués de larmes. Mon cœur cria devant cette vision qui le meurtri.

- Il ne viendra pas, lâcha-t-elle. Il est parti hier soir, et il ne souhaite pas que je le rejoigne.

- Putain... C'est parce que tu as refusé son interview à la con, devinai-je.

- Ce n'est pas grave, viens on rentre.

Elle marcha quelques mètres devant moi avant que je ne la retienne par le bras.

- Je suis désolé, lui dis-je doucement.

- C'est rien, ça m'arrange, répondit-elle rapidement. On pourra enregistrer notre morceau comme ça. Et puis, ça fait un moment que je n'ai pas passé du temps avec les garçons, il faut que j'aille les voir.

- Aly, tu as le droit d'être en colère...

Ses yeux se posèrent au loin, fuyant mon regard.

- Pourquoi je serais en colère ? me demanda-t-elle. Il m'a dit au revoir cette fois.

- Si je peux faire quoi que soit, dis-le-moi.

- Qu'est-ce que tu veux faire Ken ? Ce n'est pas comme si j'avais cinq ans, et que je restais éveillée toute la nuit en demandant à ma mère quand mon père va revenir.

Je ne savais pas quoi répondre à sa remarque qui était emprunt d'une douleur fulgurante. La colère et l'émotion transparaissaient dans sa voix, faisant frissonner mon corps.

- Je n'ai pas besoin de lui, continua-t-elle avec rage. Il ne m'a pas appris à faire du vélo, mais je sais en faire tu sais ? J'ai appris à conduire, à devenir une femme, j'ai été à l'université, et j'ai même obtenu un Master sans lui ! J'ai eu vingt-trois supers anniversaires, et il ne m'a pas appelée une seule fois ! Qu'il aille au diable !

Sa voix brisée me bouleversa, je restai muet, comme un con, ne sachant quoi faire pour apaiser sa peine. Ses yeux baignés de larmes qui ne parvenaient pas à s'échapper, luisaient dans une colère noire, recouverts d'un voile de tristesse.

- Je n'ai pas eu besoin de lui avant, ça ne va pas changer maintenant, continua-t-elle en reprenant son chemin.

- Aly, attends...

Elle se retourna vers moi tout en fuyant mes yeux, le regard dévasté par le chagrin.

- Tu sais quoi Ken ? reprit-elle. Je vais réussir ma vie, j'aurais des enfants, et je leur offrirai tout ce qu'il ne m'a jamais donné ! Et je n'aurais certainement pas besoin de ses conseils, car il n'a absolument rien à m'apprendre sur la façon d'élever mes enfants !