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Lorsque je franchis les portes du studio, accompagné de 2zer et Doums, je vis Aurel, Aly et Skread discuter ensemble. Je serrai la main des garçons, tandis que je fis la bise à la jeune femme. Je ne pensais pas la voir ce soir, sa présence me fit sourire sans que je n'en comprenne véritablement la raison.

- Bon, vous êtes prêts les gars ? nous demanda Skread.

Il appuya sur un bouton de la table de mixage, puis la musique retentit dans le studio. A la fin de morceau, j'étais plutôt satisfait de notre travail.

- Ca tue ! s'exclama 2zer.

Nous le remerciâmes en riant devant son enthousiasme non dissimulé.

Aurel d'humeur taquine fit écouter le morceau défaite de famille à sa cousine qui s'énerva contre lui avant même la fin du premier couplet. Comment avait-il pu écrire une chanson pareille ? A la place d'Aly, j'aurais sans doute réagit de la même manière. Toute leur famille en prenait pour son grade. Même si Aurel avait enregistré ce titre comme une blague, je comprenais que la blonde ait pu être vexée. D'ailleurs, elle quitta la pièce pour sortir se calmer.

- Je pensais pas qu'elle le prendrait si mal... souffla Aurel.

- Bah faut dire que c'est super marrant pour nous, déclara 2zer, mais peut-être pas pour elle.

- C'est juste une connerie, ce justifia-t-il.

- T'inquiète, Ken va aller la voir, me sourit Doums.

Je restai surpris devant sa déclaration inattendue.

- Pourquoi c'est moi qui dois aller la voir ? demandai-je.

- Parce que c'est toi qui a le plus parlé avec elle, sourit mon ami.

- Vous aussi vous avez parlé avec elle, non ?

- Ouais, mais toi ça passera mieux, me dit mon ami en me faisant un clin d'œil.

Je levai les yeux au ciel en comprenant son regard. Il pensait vraiment que cette fille m'intéressait alors que ce n'était absolument pas le cas. Ne voulant pas non plus la laisser totalement seule, je partis la rejoindre sous les encouragements de mes comparses.

La jeune femme, adossée au mur de l'immeuble, fumait une cigarette. Je pris le temps de l'observer quelques secondes. Sa main passa dans ses cheveux, puis les remit en place derrière son oreille. Je devinai que ce geste trahissait une certaine nervosité chez elle. Sans réfléchir, je me plantai devant elle sans savoir comment j'allais pouvoir la faire décolérer. Nos yeux se rencontrèrent, échangeant silencieusement, s'observant mutuellement.

- Qu'est-ce qu'il y a ? me demanda-t-elle.

- C'est bien une habitude que tu as de me demander ça à chaque fois que je te regarde, la taquinai-je.

- J'ai pas la tête à subir tes vannes, répliqua-t-elle.

Bon... Première tentative échouée.

- Ne t'énerve pas pour rien, répondis-je doucement. C'est juste une chanson, il ne le pense pas vraiment.

Elle garda le silence tandis que nos yeux se contemplaient les uns les autres. Le bleu de ses iris me rappela la mer de Grèce. Je me rapprochai inconsciemment davantage d'elle, comme attiré par son magnétisme naturel.

- Pourquoi est-ce que tu t'inquiètes pour moi Ken ? murmura-t-elle. Tu me connais à peine.

Je me mordis la lèvre en me demandant ce que j'allais pouvoir répondre.

- Je ne m'inquiète pas pour toi.

- Tu mens Ken, dit-elle en se rapprochant à son tour de moi.

J'ouvris à plusieurs reprises ma main pour faire disparaître les fourmillements sur le bout de mes doigts qui ne demandaient qu'à toucher la peau de sa joue rosie. Nos corps à quelques centimètres l'un de l'autre, je pouvais sentir son parfum sucré. Coupés de l'espace-temps, nous nous contemplions sans prononcer le moindre mot, un échange silencieux se fit naturellement entre nous.

- Aly ? l'apostropha une voix.

Nous tournâmes nos visages au même instant pour apercevoir Gringe à quelques mètres de nous brisant notre dialogue muet. La jeune femme revêtit son plus beau sourire pour le saluer chaleureusement. Au moins, il y en avait un qui avait réussi l'exploit de la faire sourire à nouveau. Je les rejoignis, et serrai la main du rappeur.

L'acolyte d'Aurel passa son bras autour des épaules d'Aly, puis l'entraina vers l'entrée de l'immeuble me laissant comme un con. Se rappelant de ma présence, je vis le visage de la jeune femme se tourner vers moi. Sans lui porter une quelconque attention, je passai devant eux, puis entrai dans le bâtiment sans prendre la peine de leur tenir la porte.

J'avais fait l'effort d'aller la voir, de prendre du temps pour la réconforter, mais dès que ses yeux avaient aperçu Gringe, j'étais devenu transparent. Son comportement aurait dû me soulager, je n'avais pas eu à insister pour qu'elle revienne, mais au lieu de ça, je m'étais senti frustré de ne pas avoir réussi moi-même à la faire décolérer.

Tandis que je me rassis dans le canapé du studio, Aurel me lança un regard interrogateur.

- Elle est avec ton pote, lâchai-je.

A cet instant, les deux amis entrèrent dans la petite pièce pour nous rejoindre. Visiblement, l'effet Gringe avait été efficace sur Aly, son sourire était revenu, mais le mien n'arrivait plus à apparaitre sur mon visage. Pourquoi toutes mes discussions avec elle étaient constamment coupées par des personnes sans intérêt ? Et surtout, pourquoi est-ce que cela m'affectait autant ? Je regardai furtivement la jeune femme rire légèrement avec son ami retrouvé, une colère froide à son égard s'empara de mon esprit. Elle ne m'avait même pas remercié d'être venu la consoler. A croire que tous les hommes devaient se mettre à ses pieds sans qu'elle ne juge bon de montrer sa gratitude en retour.

- On donne un concert demain, déclara 2zer, ça vous dit de passer ?

- On peut pas, on doit bosser au maximum sur l'album, répondit Aurel. Mais merci de nous le proposer.

- Oui, je comprends, et toi Aly ?

Oh non... Pourquoi est-ce que mon ami invitait cette fille qu'il connaissait à peine ?

- Je dois voir les garçons demain, s'excusa-t-elle.

Madame avait un agenda très chargé.

- Bah dis leur de venir, insista 2zer. Prends mon numéro, et envoie un message si vous venez. Je vous mettrai sur la liste pour que vous puissiez nous rejoindre dans les loges.

Après avoir échangé leurs numéros respectifs, le groupe continua de discuter ensemble, mais de mon côté, j'en avais marre, mon esprit ne pensait qu'à rentrer chez moi.

- Au fait, c'est quoi comme musique que vous allez jouer ? demanda naïvement la blonde.

- Tu ne connais pas notre musique ? m'étonnai-je.

- Bah non, c'est un crime ?

- Ouais, un crime contre ta culture, rétorquai-je. Faudrait peut-être sortir de chez toi plus souvent.

Je vis son visage se figer face à la remarque cinglante que je venais de lui jeter au visage. A plusieurs reprises, ses yeux se baissèrent, puis remontèrent vers les miens. Je devinai facilement qu'elle se retenait pour ne pas me répondre à son tour une réplique vexante, mais de mon côté, je n'attendais que ça. J'étais prêt à accueillir sa colère pour créer une dispute avec cette fille que je connaissais à peine.

Finalement, elle prit sur elle pour ne pas entrer dans mon jeu. Deux heures plus tard, nous la raccompagnâmes chez elle. Tout le long du trajet, mes yeux l'observèrent discrètement dans le rétroviseur de ma voiture.

A l'ombre de ta lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant