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Nos retrouvailles avaient été de courte durée.

Durant les mois qui suivirent Ken s'enfermait toute la journée au studio pour enregistrer ou chez lui pour écrire. Il m'accordait quelques soirées de temps en temps, mais je sentais qu'il s'éloignait progressivement de moi. Il m'avait prévenu qu'il aurait moins de temps à me consacrer, mais de là à ne le voir que deux heures en une semaine. Je ne lui faisais pas de scène, car je ne voulais pas être ce genre de femme. Nous n'étions pas comme ces couples possessifs qui pensaient avoir un droit de propriété sur l'autre. Je continuais ma vie en prenant le peu de temps qu'il me consacrait.

Un soir, il m'avait demandé de m'habiller élégamment, il me rejoignit chez moi vêtu d'une belle chemise bleue marine cintrée et d'un pantalon noir. Je m'étonnai de le voir habillé de la sorte.

- Tu es très belle, dit-il en passant sa main le long de ma robe noire.

- Merci, souris-je.

Il m'emmena dîner dans un restaurant chic de la capitale. Je n'aimais pas ce genre d'endroit, je ne me sentais jamais à l'aise. Durant tout le repas, le serveur observait nos verres avec attention, et s'empressait de les remplir lorsqu'ils n'étaient qu'à moitié vide. Je n'osais pas parler, j'avais l'impression de faire tâche parmi ces hommes en costard, et ces femmes qui arboraient pour certaines des parures en fourrure ou en diamants.

- Ca ne va pas ? me demanda Ken.

Il avait bien remarqué ma gêne.

- Si, tout va bien quand tu es là, souris-je.

Il déposa sa main sur la mienne, puis nous dînâmes calmement. Les plats gastronomiques défilaient gonflant mon ventre de gourmandise. J'essayais de suivre la discussion que Ken tentait de rendre vivante, mais je ne pouvais m'empêcher d'observer les autres clients du restaurant.

- Ok Aly, qu'est-ce qu'il se passe ?

- Rien du tout, mentis-je.

- Tu ne réponds à la conversation que par oui, peut-être ou d'accord, fit-il remarquer.

- Je ne suis pas très à l'aise ici, admis-je.

Ken souffla en posant sa serviette sur la table. Il se laissa tomber au fond de sa chaise, puis m'observa fixement.

- Qu'est-ce qu'il y a ? m'enquis-je.

- Je pensais te faire plaisir en t'emmenant ici, répondit-il.

- Ca me fait plaisir ! le contredis-je.

- Tu verrais la gueule que tu fais...

Je détournai immédiatement le regard en scrutant mes ongles. J'avais visiblement plombé l'ambiance.

- C'est juste que... Ce n'est pas nous tout ça, me justifiai-je. Tu n'as pas besoin de m'emmener dans un resto hors de prix pour m'impressionner, je n'ai pas besoin de ça.

- Tu te rends compte que je sacrifie une soirée en studio pour être avec toi, et tu me balances que tu kiffes pas la soirée.

Je restai figée devant la virulence de sa phrase.

- Tu « sacrifies » une soirée pour être avec moi ? répétai-je.

- Bah ouais !

- Je pensais plutôt que tu sacrifiais les soirées avec moi pour aller au studio.

- Essaie pas de retourner la situation.

Je gardai le silence en essayant de faire bonne figure, mais la colère me gagna progressivement. Nous finîmes notre dessert dans un silence gênant. Ken paya l'addition, puis nous sortîmes de l'établissement, il me raccompagna au pied de mon immeuble. J'allumai une cigarette, et tirai nerveusement de longues taffes dessus.

- On monte ? lui demandai-je conciliante.

- Je crois que je vais retourner au studio, m'annonça Ken. Les gars sont encore là-bas.

- Tu déconnes là ? m'énervai-je.

- Je dois bosser Aly, tu comprends pas...

- Effectivement, je comprends pas que mon mec ne puisse pas passer une soirée entière avec moi !

- On va vraiment se prendre la tête ce soir ? Une semaine sans se disputer avec toi, c'est trop demander ?

- Ca n'arriverait pas si tu étais moins con ! lâchai-je. Je te saoule jamais pour qu'on se voit plus souvent, ce soir je pensais au moins qu'on pourrait dormir ensemble !

- C'est comme ça de sortir avec un rappeur qui prépare un album et un film ! Il y a des périodes où je suis moins disponible pour toi !

- Tu sais quoi Ken ? Prends le temps qu'il te faudra pour écrire ton putain d'album.

- Ca veut dire quoi ça ? s'enquit-il.

- Ca veut dire que tu reviendras me voir quand tu auras du temps à m'accorder. Tu penses toujours aux autres et jamais à moi !

- Tu me largues ? C'est une blague !

- C'est toi qui me largues Ken ! rétorquai-je. Tu me quittes petit à petit pour ta musique. Je ne veux pas te demander de choisir entre ton métier et moi, mais je ne veux pas non plus d'un mec qui m'accorde six heures dans le mois pour le voir.

Ken me regardait fixement, je n'arrivais pas à savoir quel sentiment l'habitait.

- T'as raison, dit-il doucement. Je peux pas te faire ça. Je passe tout mon temps au studio, je pars dans un mois aux Etats-Unis pour plusieurs semaines. Tu mérites pas d'être délaissée, tu as besoin d'un mec qui soit présent pour toi, et pour l'instant, je dois reconnaître que je ne peux pas t'offrir ça...

- Je m'en rends bien compte... répondis-je calmement.

- Je suis désolé Aly, la musique c'est toute ma vie. Je ne peux pas le faire qu'à moitié. J'ai besoin de passer mes journées en studio pour être le meilleur possible. Et mes soirées, je les passe à écrire.

- Je comprends, souris-je tristement.

Il me prit dans ses bras, et déposa un baiser sur mes lèvres.

- Je suis désolé, murmura-t-il à mon oreille.

- Je sais, répondis-je tout bas. Va les rejoindre.

Il me lança un dernier regard, puis me quitta. Je le regardai quelques secondes s'éloigner de moi, puis poussai la porte de mon immeuble.

Lorsque je m'allongeai dans mon lit, l'émotion me gagna. Des larmes coulaient silencieusement sur mes joues. Pourquoi toutes mes relations amoureuses étaient-elles vouées à l'échec ? Je savais que Ken avait de réels sentiments, mais au fond de moi, je me sentais comme Emily. Attachée à un homme qui ne me témoignait pas son affection. Je m'étais accrochée à lui, mais il avait préféré sa musique à moi, ce que je comprenais. Il ne me connaissait que depuis un an à peine. Comment pouvait-il en être autrement ?

Je décidai de tourner la page Ken dans de douloureuses souffrances.

A l'ombre de ta lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant