Chapitre 5

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— Tu ne veut vraiment pas mettre celle-ci ? Elle est cent fois plus belle que celle-là ! s'exclame Bianca en battant des jambes en l'air.

Allongée sur mon lit, elle me dévisage comme si j'étais incompréhensible. Je fixe la robe rouge que je suis actuellement en train de porter. J'avais un plan à mettre en marche mais je n'ai pas vraiment envie de venir à ce repas mal vêtue. Même si j'ai l'intention de m'habiller pour moi-même, je ne souhaite pas en faire trop non plus.

Après que le roi a déguerpi de ma chambre, je suis rapidement descendue et j'ai rejoint les jardins pour prévenir Jasper qu'il devait s'en aller. Il m'a demandé des explications, ce qu'il s'était passé et je lui ai répondu que je lui expliquerais tout plus tard. Ensuite, je suis remontée dans ma chambre et en passant devant le salon, j'ai entendu une conversation entre mon oncle et le roi.

Ce dernier disait qu'il attendrait quelques jours avant d'officialiser le mariage, que pour le moment il souhaitait être sûr de son choix. Et étonnamment, il n'a pas du tout la même voix avec mon oncle qu'avec moi. Il lui parle d'une voix grave et profonde, sûr de lui, alors qu'avec moi, sa voix sonnait bien trop fausse à mes oreilles. Comme s'il voulait se montrer gentil pour m'amadouer.

Ensuite, je suis montée dans ma chambre en soufflant. Depuis quand suis-je un choix ? ai-je pensé. J'allais m'apprêter pour le dîner quand Bianca est venue m'aider à me vêtir. Et nous sommes en désaccord sur le choix de la robe.

— Écoute, Eileen, la robe rouge est cent fois plus sexy que la robe noire. En plus la noire est trop longue et trop « nonne ». Si tu veux impressionner le roi, porte la rouge.

Justement, Bianca, je ne veux pas impressionner le roi. Je soupire, le regard ailleurs.

— Ne me dis pas que tu veux te faire discrète ?

Je grimace. Quand elle réalise ce que je pense réellement, elle ouvre grands les yeux et pousse un cri.

— Attends, tu es sérieuse ? Eileen ! Tu ne peux pas faire ça.

— Et pourquoi donc ?

— Parce qu'oncle Ednard te mettra à la porte si le roi refuse de conclure le mariage.

Je fronce les sourcils. D'où tire-elle ses informations ?

— Et comment tu peux savoir ça ?

— J'ai entendu une conversation, répond-elle simplement.

Décidément, c'est de famille d'épier.

— Il a dit à son conseiller, Robert ou Roberto je ne sais plus, qu'il ne savait pas quoi faire si le mariage n'aboutissait pas. Et l'autre lui a répondu de te mettre à la porte, que cela ferait une charge en moins. Il va perdre tout l'argent qu'il a misé si le roi ne conclut pas le mariage. Alors s'il te plaît, ne fais pas ça.

Je contiens ma colère. J'en ai plus que marre d'être traitée comme un objet, et encore plus qu'on me vole tout ce qui m'appartenait jusqu'ici : ma liberté, mes choix, mes convictions.

— Je suis sérieuse, Eileen. Tu ne peux pas faire ça.

J'essaie de répondre calmement mais la colère se fait ressentir dans le ton de ma voix :

— Tu sais ce que ça fait de se faire traiter comme ça ? Du jour au lendemain on m'annonce que je vais me marier à un inconnu, on me dit que je ne deviendrai jamais reine de mon pays, tout ça parce qu'il a changé la succession au trône ! Tu veux que je te dise, Bianca ? Je préfère largement finir à la rue ou morte plutôt que de me faire chouchouter et observer un homme gouverner son propre pays.

Je vais fondre en larmes devant elle si je ne pars pas tout de suite. C'est les poumons compressés que je quitte ma chambre, pieds nus et en robe mais tant pis. Je descends les escaliers à vive allure en sanglotant, essuyant rageusement les larmes coulant sur mes joues. Il faut que je prenne l'air, j'en ai besoin.

Je fonce vers la porte principal mais au moment de traverser le couloir, je heurte un torse dur. Je m'apprête à m'excuser devant le garde mais ce n'est pas un garde qui me fait face.

Le regard du roi croise le mien et je renifle. Je réalise à quel point je dois paraître ridicule et horriblement laide devant lui.

— Désolée, marmonné-je. Je... j'ai...

Je bredouille comme une idiote et souffle. Ça fait redoubler mes larmes.

— Ça n'a pas l'air d'aller.

Non, vraiment ? Je grince des dents.

— J'ai besoin d'air.

Je le repousse comme je peux car j'ai beau faire un mètre soixante dix, il me dépasse d'au moins deux bonnes têtes. J'ouvre la porte principal et sors sur les grandes marches centrales et j'ai beau prendre une grande inspiration, ça ne me fait rien. J'ai l'impression de suffoquer et d'étouffer.

— Pourquoi pleurez-vous ? intervient une voix derrière moi.

Je hausse les épaules. Il me rejoint à côté, les mains liés dans le dos, ses yeux sombres posés sur moi. Je remarque à ce moment qu'il ne porte pas sa couronne. Il ne l'a même jamais porté. Il se tient droit, les mains liées dans le dos et son regard semble cacher quelque chose.

— Cela ne vous concerne pas.

Il semble surpris un quart de secondes puis il reprend :

— Certes, mais j'aimerais savoir. On ne se connaît pas forcément mais parler à quelqu'un apporte toujours du bien.

— Et qui vous dit que je veux vous parler à vous en particulier ? raillé-je.

Mes yeux balaient le paysage devant moi. Il faut que je fixe un point pour me concentrer. J'ai beau y mettre tout mon cœur, je le sens me dévisager. Je me tourne et vois qu'il a les yeux braqués sur ma robe.

Il se racle la gorge, hausse un sourcil et me contemple.

— Bien. Si vous ne voulez pas me parler, c'est votre droit. Sachez au moins que je suis là si besoin.

Il se détourne de moi après un énième regard sur ma robe et je l'interpelle :

— Ce n'est pas normal d'être si gentil. Que cachez-vous ?

Il hausse les épaules et déclare d'une voix posé :

— Je ne suis pas si gentil que ça. Je me soucie juste de vous.

— Et pourquoi ? On ne se connaît ni d'Eve ni d'Adam !

— J'ai pitié de vous, Eileen, répond-il simplement.

Et il rentre à l'intérieur, me laissant complètement brisée sur le perron.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant