Chapitre 3

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Quand j'étais petite, il y avait toujours à la maison des invités. Que ce soit de la famille ou des chefs politiques importants, d'autres familles royales venant de pays différents, toutes les semaines on pouvait rencontrer de nouvelles personnes.

Avec Bianca, on était souvent en train de jouer dans le jardin et une fois devenues adolescentes, nous allions fréquemment nous promener dans les bois. Pour nous faire comprendre que des invités étaient arrivés, mon père faisait toujours sonner la corne de brume, nous indiquant donc de rentrer au palais.

Jasper me scrute et demande :

— Tu sais qui ça peut être ?

— J'espère que ce n'est pas la personne à laquelle je pense.

Cela serait étrange que le roi de Lucrenda soit déjà arrivé, étant donné qu'il ne devait venir qu'au repas de ce soir... Je me retourne pour reprendre le chemin en sens inverse et fixe de nouveau mes pieds. J'ai une dégaine horrible avec mon gros gilet gris et mes chaussures boueuses.

Je ne ressemble pas du tout à une princesse. Est-ce que je l'ai déjà été ? Oncle Ednard aimait me rappeler à chaque repas de famille à quel point j'étais une "honte" aux yeux de tous. Et encore, si j'osais m'habiller de décolletés extravagants ou autre j'aurais probablement été châtiée depuis longtemps.

— Tu veux que je vienne avec toi ?

J'acquiesce et le tire par la main en accélérant la cadence. Une fois sortie des bois, nous traversons le jardin en forme de labyrinthe et arrivons à quelques dizaines de mètres de la porte arrière. Je reprends mon souffle et inspire longuement.

Ce n'est pas possible de toute manière, le dîner est organisé ce soir. Oncle Ednard m'aurait prévenu. Ou alors il continuera de jouer sa carte mesquinerie jusqu'au bout.

— Eileen, attends.

Jasper me prend par les épaules et je sens qu'il est aussi nerveux que moi.

— Je ferais mieux de rester dehors.

— Je viendrai te voir juste après.

Il hoche la tête et je me détourne de lui. J'avance lentement mais prudemment. Au moins, en passant par les portes arrières je peux déjà essayer de deviner de qui il s'agit.

J'arpente les couloirs où seuls mes pas résonnent. J'entends mon cœur tambouriner dans ma poitrine et j'essaie de me calmer, en vain. Je suis beaucoup trop anxieuse. Anxieuse de quoi ? De rencontrer celui que je redoute, de faire mauvaise impression, de salir mon image, car même si je ne veux pas de ce mariage, il faut que je me préserve.

Je suis incompréhensible.

Je me stoppe en entendant la voix d'oncle Ednard provenant directement du salon.

— ... ne devrait pas tarder ! Vous savez, c'est une enfant qui est, certes, mal élevée, mais toujours ponctuelle.

Il parle comme s'il me connaissait mais ce vieux bridé ne sait rien de moi. Je brûle d'envie d'entrer dans la pièce pour lui dire ses quatre vérités, comme quoi son ventre est aussi gros que sa débilité mais ce serait lui accorder trop d'importance.

Je reste donc là, le dos collé au mur, à méditer sur mes prochains choix. Entrer et m'afficher comme une femme sale, répugnante et j'en passe ou m'enfuir pour au moins m'apprêter ?

Je pousse un soupir las en me rendant compte qu'oncle Ednard ne sait vraiment pas faire la discussion puisqu'un long silence s'est installé dans la pièce. Je meurs d'envie d'entrer et de leur montrer qui je suis réellement, de hurler à ce vieux croûton qui me sert d'oncle que je ne me marierai pas et de brandir mon majeur à ce foutu roi de Lucrenda.

Un raclement de gorge se fait entendre et j'entends que quelqu'un tape du pied. Monsieur est probablement impatient. J'en n'ai strictement rien à faire.

Je lève les yeux au plafond quand des pas résonnent dans la pièce.

— Eileen, te voilà enfin !

Mon cœur s'arrête quand oncle Ednard pose ses yeux sur moi. Il est sorti de la pièce et maintenant il me regarde avec un grand sourire. Il me tire carrément par la manche pour me faire entrer dans la pièce et j'ai beau protester, c'est trop tard.

Je reste bredouille devant les canapés et mes yeux s'arrêtent sur un homme assis sur le sofa, les mains posées sur ses cuisses. J'ouvre la bouche pendant quelques secondes avant de me ressaisir et de le dévisager. Il est... laid. Il a l'air d'avoir cinquante ans, et sa calvitie commence vraiment à devenir un cas sévère. Ses yeux noisette me scrutent derrière ses grosses lunettes noires et je me retiens de gerber par terre.

Il est hors de question que j'épouse ce type. Il pourrait être mon père et son regard malsain me met mal à l'aise. Vous savez, ce genre de regard où vous avez l'impression de n'être qu'un bout de viande.

Je vais fondre en larmes si je ne pars pas tout de suite.

— Eileen, je te présente le roi de Lucrenda, déclare oncle Ednard.

Ses yeux sont fixés sur un point derrière moi et je pose la main sur mon cœur en riant nerveusement. Ne me dites pas que... Je me retourne et fronce les sourcils.

J'ai envie d'éclater de rire mais le regard auquel je dois faire face m'en empêche.

Un peu de sérieux, enfin.

Je recule de quelques pas et essaie de calmer les battements de mon cœur, en vain. J'ignore si je préfère l'homme qui me fixe comme si j'étais un bon repas du dimanche ou l'autre homme qui me fait face actuellement.

— Euh, je...

Je reprends mes esprits et me baisse doucement dans ce qui devrait être une gracieuse révérence mais cela ressemble plutôt à un mouvement maladroit. Je me relève aussi vite que possible et mes yeux alternent entre mon oncle et les deux hommes.

Il faut que je parte immédiatement. Je prépare mentalement un plan dans ma tête en une seconde à peine. Je vais passer par la porte en m'excusant, prétextant devoir m'apprêter et je vais rapidement monter dans ma chambre. Je vais me changer puis je vais directement aller rejoindre Jasper qui m'attend dehors et tout lui expliquer.

Mon plan est parfait. Alors que je m'apprête à m'excuser, ma tête commence à tourner et des points dansent devant mes yeux. Je vais pour faire un pas quand je sens mon corps tomber lourdement.

Et merde.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant