Je vais recracher tout le champagne contenu dans mon estomac. Qu'est-ce qu'il me raconte, celui-là ?
— Pardon ?
— Je ne peux pas vous expliquer maintenant, dit-il simplement. Je vous raconterai dans la limousine mais en attendant allons-nous-en d'ici.
Il se lève et passe sa main dans ses cheveux, l'air normal puis me fait signe de le suivre. J'espère que tout ceci n'est qu'une grosse supercherie. Et j'espère que nous sommes le premier avril parce que ce n'est pas possible autrement.
Arrivés devant la voiture, le chauffeur vient nous ouvrir la portière où je vais m'installer aux côtés du faux roi. Une fois la limousine démarrée, je me tourne vers lui, furieuse.
— Qui êtes-vous ?
Il prend une longue inspiration, réfléchit longuement puis soupire.
— Je ne devrais pas vous le dire.
— Alors pourquoi m'en avez-vous parlé ?
Il hausse les épaules, l'air complément perdu. Puis il reprend :
— Je suis Sebastien de Lucrenda, l'aîné d'une fratrie de quatre enfants.
— Et on peut savoir ce que vous faites ici ?
J'hésite entre plusieurs émotions. J'ai envie d'être énervée mais ce serait un peu bizarre de répercuter ma colère sur cet homme que je ne connais même pas. J'ai aussi envie de pleurer, de joie ou de tristesse, je l'ignore mais j'ai ce poids dans ma poitrine qui s'enlève tout doucement. Peut-être parce que je réalise que je n'ai pas face à moi un roi mais seulement un prince.
— Mon frère m'envoie. C'est lui que vous allez épouser et rencontrer la semaine prochaine. Je ne suis qu'ici par visite courtoise pour tâter un peu le terrain comme on dit ici.
— Tâter le terrain ? Et je vais épouser votre frère ? Mon oncle sait-il que vous êtes un imposteur ?
— Non, il ne le sait pas mais vous ne devez pas lui dire. Si vous lui dites, non seulement vous mettrez en péril ma famille mais également la vôtre.
Et pourquoi mettrais-je en péril ma famille ? Mille questions me trottent la tête. Je peux parfaitement tout rapporter à l'autre rat écervelé qui me sert d'oncle et ainsi faire annuler le mariage.
— Pourquoi le roi ne s'est-il pas déplacé en personne pour me rencontrer ?
— À dire vrai, Ander n'est pas encore roi. Il est de trois ans plus jeune que moi mais notre père a décidé de ne lui léguer le trône que très récemment. Il souhaite d'abord se fiancer, être couronné puis vous épouser. Il est actuellement prince.
Ander...
— Cela ne répond pas à ma question, grimacé-je.
— C'est trop dangereux pour nous de nous déplacer hors de notre pays. Même si ma patrie demeure inconnue pour vous, nous sommes en train de devenir une puissance mondiale et nous faire remarquer maintenant nous porterait bien trop préjudice. Nous essayons de rester discrets pour faire bref.
Je souffle bruyamment. J'ai toujours eu un don pour savoir quand les gens mentent. Comme un sixième sens. Et j'en mettrai ma main à couper qu'il est en train de me mentir. Tout est bien trop bizarre et rien n'a de sens.
— Si je comprends bien, vous êtes prince, et c'est votre frère que je vais épouser.
— C'est cela.
Je reste quelques secondes stoïque, abasourdie. Je n'ai, en face de moi, pas un roi mais un prince. Un mensonge. Je pourrais tout avouer à mon oncle qui ordonnerait alors immédiatement qu'on enferme ce menteur en prison et le mariage serait annulé. Je pourrais décider en un claquement de doigt que tout vole en éclats.
Sauf que je connais mon oncle. Il est capable des pires crimes et il me ferait marier avec un autre roi de je-ne-sais quel pays dans la seconde.
— Nous sommes arrivés.
À ses mots, la portière s'ouvre et je sors, suivie du prince Sebastien. Un frisson me parcourt l'échine et pour cause : il commence à faire frais.
Le prince se penche vers moi, saisit ma main et j'arrive à peine à percevoir ses traits, la lune éclaire faiblement son visage.
— Je vous souhaite une agréable nuit, Votre Altesse.
Nous sommes donc revenus aux terme traditionnels. Bien. Il pose délicatement ses lèvres sur le dos de ma main et je le regarde faire, subjuguée. Il faut vraiment que je me ressaisisse, j'en deviens pitoyable.
— À vous également.
Je me baisse dans une rapide révérence, souhaitant en finir avec ces adieux qui n'en finissent plus quand il me retient par le poignet. Il avance d'un pas et murmure au creux de mon oreille d'une voix qui ne me laisse pas indifférente :
— Promettez-moi de ne rien dire.
Je ne peux pas promettre ça. Je vais passer la nuit à réfléchir à que faire, avouer ou me taire ? Je brûle d'envie de tout raconter à Bianca et Jasper, c'est évident mais puis-je leur faire confiance ? Et maintenant le prince qui me demande de ne rien dire.
— Je n'étais pas supposé vous l'avouer. On me tuera bien assez comme ça une fois revenu alors je vous le demande : ne dites rien.
De toute manière, je l'aurais bien su tôt ou tard.
— Bien, je ne dirai rien.
Pour le moment. Je ne sais pas encore ce que je compte faire de ces informations. Il hoche la tête comme soulagé puis après un long regard, je me détourne de lui.
J'ai besoin d'air et surtout d'espace.
• • •
Le téléphone contre mon oreille, mon regard se promène à travers la fenêtre. Il est bientôt quatre heures du matin et je ne dors toujours pas, bien trop occupée à discuter de toute cette histoire à Jasper.
— Tu es sûre de toi ? demande-t-il à l'autre bout de l'appareil.
— Sûre et certaine, il me l'a dit de sa bouche. Il s'appelle Sebastien et il n'est pas celui que je vais épouser.
Un long silence s'ensuit et j'en déduis que Jasper est en train de réfléchir à quoi me dire. Je me contente de détailler la moindre parcelle de vue qui me fait face. De ma chambre, on peut voir le labyrinthe extérieur. Mon oncle a fait installé des rosiers récemment et je trouve que cela gâche un peu la vue d'ensemble qu'on aurait du jardin.
Quand j'étais plus jeune, j'avais l'habitude d'aller me perdre dans le labyrinthe, de prendre un carnet et de dessiner tout ce que je pouvais voir autour de moi, peu importe la chose. J'en étais réduite parfois à dessiner des mouches. Et je restais des heures et des heures, ici là à gribouiller n'importe quoi.
— Désolé, j'ai failli m'endormir. On peut se rappeler demain ? Je suis vraiment épuisé.
— Aucun souci, réponds-je, un sourire dans la voix. Bonne nuit, Jasper.
— Bonne nuit, Eileen...
Il raccroche et je repose le combiné sur son support, perdue dans mes pensées. D'aussi loin que je m'en souvienne, Jasper et moi avons toujours été meilleurs amis. Nous nous sommes rencontrés lors d'un repas organisé par ma famille. Mes parents voulaient officialiser les nouveaux projets en cours en invitant la famille Clarkson, dont les parents de Jasper étaient ingénieurs. Ils le sont toujours d'ailleurs.
Plus nous grandissions et plus nous devenions proches Jasper et moi. Il m'a toujours confié ses peines comme je lui ai toujours confié les miennes. Notre relation fonctionnait à merveille mais j'ai bien peur qu'elle ne se termine très rapidement avec mon départ pour Lucrenda.
Il faut que je trouve une solution, n'importe quoi mais je n'ai pas l'intention de m'en aller sans avoir joué toutes mes cartes.
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𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1
RomanceDans un monde où l'amour ne se choisit pas, où les décisions ne vous appartiennent pas et où les choses vous sont imposées vit Eileen De Montancourt. Princesse depuis sa naissance, du haut de ses dix-neuf ans, la jeune femme est destinée à succéder...