Chapitre 1

13.3K 1K 231
                                    

— Je n'irai pas !

D'ordinaire, je ne me rebelle qu'en cas de nécessité extrême. Là, c'est une question de vie ou de mort. Il est hors de question que je quitte mon pays pour un autre. Jamais, au grand jamais je ne lui obéirai.

— Si, tu iras. C'était le souhait de tes parents.

Oncle Ednard dit ça d'une voix si calme et posée que j'ai envie de vomir. Il continue de feuilleter son journal, les jambes croisées, assis confortablement dans son fauteuil.

Je le hais. Du plus profond de mon être.

— Ce n'était aucunement le souhait de mes parents, et tu le sais ! Ils m'ont toujours assuré que je serais la reine du royaume. Je suis l'héritière par lignée directe, majeure et tu n'as aucunement le droit de me donner des ordres ! répliqué-je.

Je bouillonne littéralement sur place. J'ai horreur qu'on me donne des ordres, surtout venant de lui.

Il me lance un regard méprisant avant de faire un signe de main pour me congédier.

— Écoute-moi, vieux bridé qui me sert de famille, je suis Eileen de Montancourt, princesse d'Ecclosia et future reine du pays. Mes parents partis, JE suis celle qui doit s'assoir sur ce trône !

Oncle Ednard pose son journal sur la table basse et pousse un long soupir. Il aura beau vouloir m'intimider avec ses expressions faciales, je connais ma vraie valeur et je sais pertinemment qu'il n'a aucun droit sur le trône.

Du haut de mon mètre soixante-dix, je le dépasse d'un bonne tête. Sa calvitie commence vraiment à devenir plus qu'apparente et alors qu'il lève son index, je me retiens de lui brandir mon majeur. Gauche ou droite, j'hésite encore.

Main gauche pour lui montrer ma jolie bague.

— Il se peut que ton père m'ait nommé en tant qu'héritier provisoire dans son testament et que je devienne régent pendant une période de six mois, le temps pour toi de t'habituer à devenir reine, disait-il sur papier. Je t'ai épargné cette peine en me nommant d'office héritier légitime au trône, et je peux donc t'assurer que tu quitteras le pays dès la semaine prochaine. J'ai fait preuve de clémence en t'organisant un mariage digne de ce nom et où tu deviendras reine d'un autre pays. Alors cesse de geindre, relève la tête et va préparer tes valises.

J'hésite entre pleurer de rage ou hurler à pleins poumons à quel point je le hais. D'où se permet-il de s'immiscer dans ce qui devait être ma destinée ? D'où se permet-il de salir la mémoire de son propre frère ainsi ?

Il croit me satisfaire à organiser un stupide mariage pour devenir reine ailleurs et servir de plante verte à un homme que je vais probablement détester. Moi, ce que je veux, c'est devenir reine de mon pays. Pas d'un pays inconnu !

— Tu me répugnes, craché-je avec tout le dégoût que je possède.

Un sourire victorieux s'installe sur ses lèvres alors qu'il se rassoit pour lire son journal. Je ne sais pas encore quoi faire, mais une chose est sûre : un jour, je me vengerai.

Alors que je me détourne, il m'interpelle une dernière fois :

— J'oubliais, le roi de Lucrenda se déplacera en personne pour rencontrer sa future reine. J'ai organisé un repas dans un prestigieux restaurant demain soir. Tâche d'avoir une tenue décente et de faire preuve d'amabilité pour une fois.

Je passe la porte, et il ne peut pas le voir mais je suis clairement en train de fondre en larmes, de détresse, de rage mais surtout d'injustice. Je referme la porte et me dépêche de monter dans ma chambre. La douleur me compresse les poumons alors que je m'effondre au sol et j'éclate en sanglots. Il n'a pas le droit de me faire ça, même si notre relation n'a jamais été excellente ni proche, je n'aurais jamais pensé qu'il puisse trahir sa propre famille ainsi.

Furieuse, je sèche mes larmes et renifle bruyamment. On vient alors toquer à ma porte et je pousse un soupir las en remettant correctement mes cheveux. J'efface les dernières gouttes sur mes joues et ouvre la porte. Bianca me fixe de ses grands yeux brillants.

— Ça va ? Je t'ai entendu pleurer...

Sa chambre est juste à côté de la mienne, pas étonnant qu'elle m'ait entendu.

— C'est bon, je vais bien...

Je laisse la porte ouverte et recule dans ma chambre pour aller m'allonger sur mon lit et je me retiens d'exploser encore une fois.

Je ne deviendrai pas reine. Je vais épouser un homme que je ne connais pas. Je vais devoir quitter tout ceux que j'aime et je ne reverrai pas Bianca avant longtemps. Je vais être coupée littéralement de tout mon confort.

— Tu sais, tu as le droit de dire quand ça ne va pas. Et je vois que ça ne va pas, Eileen. Tu auras beau vouloir toujours paraître sérieuse et maîtresse de tes émotions, je te connais par cœur.

Depuis que nous sommes petites, Bianca a toujours su voir le bon en moi. Quand j'allais mal, elle a toujours été là pour moi et malgré nos deux ans de différence, nous nous sommes toujours comprises. Ça a toujours été comme un lien qui nous unissait, un lien invisible mais bien présent, qu'on peut ressentir chacune au plus profond de notre cœur.

— Je sais bien, réponds-je simplement en ramenant mes genoux contre ma poitrine.

Ses yeux bleus me scrutent avec une certaine tendresse mêlée à une profonde peine. Je remarque ses cernes violacées qui noircissent son joli visage et ses yeux trop brillants. Elle est épuisée de pleurer pour la mort de nos parents, je le vois. Son cœur est déchiré en miette d'avoir perdu tout ce qui comptait pour elle.

— Viens là, murmuré-je en la prenant dans mes bras.

Ça me brise le cœur de la voir dans cet état-là. Je déteste voir les gens que j'aime souffrir, et encore plus quand il s'agit de ma petite sœur. Elle éclate en sanglots contre ma poitrine et chuchote d'une voix emplie de larmes :

— Ils me manquent tellement...

Ils me manquent aussi.

Chaque jour, je me retiens un peu plus. Je me retiens d'exploser, j'essaie de me convaincre d'une vérité qui ne cesse de me ronger de l'intérieur, j'essaie de rester forte, de me dire que je le fais pour mon bien, mais je sais au fond que j'ai tort.

Je me demande bien quand tout ceci va finir par éclater et à quel moment je vais finir complètement brisée.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant