Chapitre 2

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— Eileen ! Il y a Jasper en bas ! crie Bianca du rez-de-chaussée.

Nous sommes le lendemain. Cette nuit, j'ai pleuré silencieusement toutes les larmes de mon corps en me répétant en boucle que ma vie devenait chaotique. Puis je me suis réveillée le matin très tôt, j'ai entendu le coq chanter et les oiseaux me détruire les tympans et j'ai réalisé deux choses.

Non seulement je vais devenir reine d'un autre pays mais je vais également rencontrer mon futur époux ce soir. Je ne suis pas prête, et j'ai tout sauf l'envie de sourire, paraître aimable avec un homme que je ne connais même pas. Pourtant, je le devrai bien. Je sais au plus profond de moi qu'un jour, j'aurai ma vengeance et pour arriver à cela, je dois garder une image intacte d'une femme souriante et bien sans sa peau.

Je me lève en me rappelant subitement les paroles de Bianca et descends les escaliers à vive allure. Je dois traverser des dizaines de pièces et quelques couloirs pour arriver directement devant l'entrée où Jasper m'attend. Quand mon regard croise le sien, un immense sourire se dessine sur mes lèvres.

Je fonce pour aller le serrer dans mes bras et pousse un soupir de soulagement.

— Tu m'as tellement manqué, soufflé-je.

— Toi aussi, répond-il en s'écartant.

Jasper Clarkson, alias mon unique ami était parti en vacances pendant un peu plus de quatre semaines. Ça va faire un mois que je ne l'ai pas vu, heureusement nous nous sommes échangés des lettres quotidiennement pour combler le vide.

— Tu as intérêt à tout me raconter.

Son sourire s'efface et ses yeux me scrutent pendant quelques secondes. Je fronce les sourcils et l'interroge du regard.

— Mes parents m'ont annoncé la nouvelle, Eileen. Je suis vraiment désolé.

Je reste confuse un instant en me demandant s'il parle de mes parents ou de mon... futur époux ?

— Tes parents étaient des gens bien.

Il s'avance pour me serrer de nouveau dans ses bras. Gênée, je recule et hausse les épaules d'un geste nonchalant.

— Tout va bien... je vais bien. Viens, allons marcher.

Il hoche vivement la tête et passe son bras autour de mes épaules en changeant de sujet, histoire de nous faire penser tous les deux à autre chose.

— Alors, tu as passé ton concours équestre ?

— Ça a été annulé, grimacé-je en rivant mes yeux au sol.

— Merde...

Nous empruntons un petit chemin dans le bois qui fait tout le tour de la propriété et plus j'avance aux côtés de Jasper, plus je me sens bien.

D'aussi loin que je m'en rappelle, j'ai toujours habité ici. Le domaine est surveillé par des dizaines de gardes postés un peu partout et mes parents avaient fait installer pas mal de caméras de surveillance. Nous avons aussi établi une liste de personnes étant autorisées à entrer dans le domaine sans devoir remplir une autorisation et toute la paperasse habituelle.

Ça peut paraître très strict et pointilleux mais mon arrière-grand-mère a été assassinée dans le jardin même ici par des rebelles, il y a de cela presque un siècle.

— Tu comptes le repasser plus tard ? demande Jasper en passant sa main sans ses cheveux blonds.

Je m'apprête à lui répondre que bien évidemment je vais le passer, sauf que les mots ne dépassent pas la barrière de ma bouche. Non, je ne pourrais pas le passer car je vais bientôt quitter le pays. Non, je ne pourrais pas le passer car je vais devenir la plante verte d'un roi.

— Jasper...

Ma voix tremble. Ce n'est pas mon genre. Je ne me qualifierais pas comme quelqu'un de de fort mais avoir la vois temblotante, pleurer la nuit et remettre toute ma vie en question, je ne l'avais jamais fait jusqu'ici.

Je m'arrête nette sur le chemin et fixe mes chaussures pleines de boue. Je relève les yeux et promène mon regard au loin. Il va bien falloir que je lui avoue tout un jour.

— Je vais me marier.

Je ne devrais pas faire cette déclaration comme si je le pensais, comme si ça allait arriver mais il y a de fortes chances que cela se produise. Sur papier, oncle Ednard est bien déclaré héritier légitime et je ne peux même pas contester.

Jasper me fixe, troublé et fronce les sourcils.

— Tu ne m'as pas dit que tu avais rencontré quelqu'un...

Il semble bredouille, mais je vois une lueur de jalousie passer dans son regard un bref instant. Il se reprend très vite et reprend :

— Enfin, je suis ton meilleur ami, tu aurais pu me le dire avant !

— Justement, je n'ai personne. Mon oncle a organisé ce mariage il y a quelques jours et je vais le rencontrer ce soir et...

Confus, il lève la main pour me stopper.

— Attends, quoi ?

C'est le cœur lourd que je lui raconte toute la mésaventure. À peine ai-je fini qu'il commence alors à faire les cents pas, à me demander si je suis sûre et certaine de ce que j'annonce.

— Je n'ai pas envie, Jasper, mais sur papier... je ne peux plus rien dire.

— Est-ce que tu as au moins vérifié ce qu'il disait ? Il peut très bien mentir pour te faire peur, tu sais.

— Non, ce n'est pas possible.

Nos yeux se croisent et il déclare d'un ton posé :

— Eileen, tu as dix-neuf ans, tu es libre de faire tes propres choix. Il est peut-être l'héritier sur le papier mais il n'a pas le droit de t'obliger à te marier. Écoute-moi, on va rentrer au palais et chercher ces fichus papiers qui prouvent tout ce baratin, ok ?

— Je... Jasper, on ne peut pas. Il est bientôt dix-huit heures et je dois me préparer pour ce fichu repas.

— Eileen, je n'ai pas le droit de te laisser dans ce merdier toute seule ! Si tu dis que dans une semaine tu seras déjà partie ou mariée ou je ne sais quoi d'autre, je dois t'aider.

Je soupire. Je sais qu'il veut faire ça pour mon bien mais actuellement, je ne peux pas. Je ne sais pas ce qui m'empêche de rejoindre rapidement la maison pour chercher les papiers.

— Bon, très bien, mais...

Je suis coupée par le bruit d'une corne de brume qui résonne dans tout le domaine pendant plus au moins cinq secondes. Je me fige, complètement déboussolée.

J'espère que c'est une blague.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant