Chapitre 69

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Mes paupières se ferment alors qu'Ander place sa lame sur ma gorge. Sa main posée sur mon épaule me rappelle un million de souvenirs en sa compagnie et je refuse d'y croire. Je refuse de croire que l'homme de ma vie va me tuer ainsi. Il y a forcément quelque chose, ce n'est pas possible autrement.

— Qu'attends-tu ? s'impatiente le roi.

J'ai l'impression que tout le monde autour de moi retient sa respiration. J'ai l'impression que nous sommes tous en haleine, attendant sagement qu'Ander effectue son geste. Je me mets à sincèrement paniquer lorsqu'il fait une légère pression. J'aimerais dire que je vois ma vie défiler devant mes yeux mais cela serait mentir. Je reste parfaitement stoïque, patientent jusqu'au coup de grâce.

Mais Ander n'en fait rien. Mon cœur tambourine à vive allure dans ma poitrine lorsqu'il retire la lame. Que sa tête se relève et que ses mains quittent mon corps. Et alors, le monde bascule. Tout se déroule en un millième de secondes, si bien qu'un court instant, je pense rêver.

D'un geste vif, Ander lève son bras et le détend sèchement. Agenouillée, ma bouche se déforme lorsque je le vois lancer le couteau sur son propre père. Sur le roi. Je retiens un cri de terreur en même temps que toute la salle. Nous observons tous le couteau se planter en pleine poitrine du roi. D'un mouvement si gracieux mais empli de rage, Ander reste figé quelques secondes. Ses yeux semblent neutres mais il a une expression déterminée au visage que je ne lui reconnais pas.

Le roi baisse la tête vers sa poitrine, sa bouche se formant en un O parfait en tout points et il porte la main à l'endroit où est planté profondément le couteau. Et c'est à ce moment précis que toute la salle crie, que des exclamations et des hurlements d'horreur résonnent. Sebastien se lève dans un mouvement de rage et se précipite vers son père en tentant de le secourir mais celui-ci s'effondrer au sol sur le ventre.

Je doute qu'il soit encore en vie. Cecilia derrière est aussi terrifiée que toute la salle et la reine... La reine n'exprime aucune émotion. Elle se lève soudainement, rabat sa cape derrière elle et descend précipitamment les marches pour avancer vers nous.

Remettant son col, elle nous lance à moi et à Ander :

— Il faut y aller.

Ander me tend la main, une main que j'analyse longuement en même temps que je détaille le corps du roi. Il ne bouge plus et des dizaines de gardes accourent vers lui. Certains vont pour foncer vers Ander mais d'autres hésitent. Si le roi est mort, Ander est l'héritier légitime, alors aucun ne peut l'attaquer.

Mais c'est à ce moment précis que mon oncle crie de l'estrade où il se trouve :

— Emparez-vous d'eux !

Et cette fois-ci, aucun soldat ne peut protester puisqu'ils appartiennent à la garde royal d'Ecclosia. Ils se dirigent droit vers nous en même temps qu'Ander me relève de force.

Il saisit ma main et se met à courir et je le suis, à la traîne. La foule s'est dispersée et c'est la cohue dans toute la salle. La reine a dû sortir depuis quelques minutes maintenant et nous nous dépêchons de passer les portes.

L'adrénaline s'insinue en moi en même temps qu'Ander tourne dans un couloir puis dans un autre. Il nous emmène directement vers le passage souterrain où nous étions lors de notre premier baiser. Nous passons la porte qu'Ander a découvert par la tapisserie et il la referme aussi derrière nous.

Le couloir est toujours aussi sombre et je me retourne, ma main cherchant le bras d'Ander. Lorsque je le trouve, je m'agrippe à lui comme à une bouée et m'exclame :

— Qu'est-ce que tu as fait ?

Ander s'avance et me fait reculer. Je tente de calmer les battements de mon cœur mais c'est une course perdue d'avance.

— J'ai tué mon père, je crois que c'est assez évident.

— Mais pourquoi...

Ma voix se brise et je réalise que ma question est impertinente. Ander ne répond pas, me pousse un peu plus et mon dos heurte le mur. Ses mains saisissent mon visage et il ne perd pas une seconde pour m'embrasser. J'ai l'impression que cela fait des siècles que nous ne nous sommes pas embrassés.

Son baiser est rapide mais furtif, et il laisse sur mes lèvres un goût amer de la liberté. Il finit par me tirer par le bras et explique :

— C'était toi ou lui. J'ai choisi.

— Mais c'est ton père, bredouillé-je.

— Un père n'agirait pas ainsi. Il n'a jamais été un père pour moi, il s'est toujours mis en travers de ma route et jubilait à nous voir nous détester, Sebastien et moi. Ma mère ne peut plus supporter son comportement depuis des années.

Et c'est là que tout s'emboîte. Que la dernière pièce du puzzle apparaît. La reine se comportait normalement car tout était prévu. Ander avait prévu de tuer son père depuis le début et je n'en ai jamais été mise au courant.

— C'était ça ton plan alors ? Celui de tuer ton père ? Depuis le début ?

— Je ne pouvais pas te mettre au courant.

— Mais pourquoi ? C'est complètement stupide, j'aurais pu...

— Non, Eileen. Je devais gagner la confiance de mon père. Quand nous sommes revenus ici, je suis allé le voir pour lui dire que j'acceptais d'épouser Cecilia et que je voulais te voir morte. Il ne m'a pas cru au début, c'est pourquoi j'ai dû t'ignorer lorsqu'on t'a amenée dans le bureau. J'ai joué mon rôle à la perfection et le plan a marché jusqu'au bout.

— Mais Cecilia, Cecilia a dit qu'elle...

— Cecilia ne peut pas s'empêcher de raconter des idioties, réplique-t-il d'un ton froid.

— Cesse de m'interrompre ! m'agacé-je. Je suis restée toute une journée dans une pièce sombre à me dire que j'allais bientôt mourir ! Je n'ai pas arrêté une seule seconde de me torturer l'esprit à me dire que... à me dire que je ne te reverrai jamais, toi et Bianca et tous ceux que j'aime. Et toi, pendant ce temps-là, tu... tu..

Ma voix lâche. J'arrive à apercevoir le visage d'Ander grâce au peu de lumière qui s'échappe sous la porte au fond du couloir. Il me fixe, les yeux grands, les sourcils haussés.

— Que tu finisses en prison n'était pas prévu, Eileen. Si je venais te voir, on aurait reporté ma visite et mon père ne m'aurait pas fait confiance. Alors je suis resté avec Cecilia, le temps de...

— Excuse-moi ?

Il soupire en se passant une main sur le visage, l'air exténué.

— Pendant que j'étais dans ma cellule tu te la coulais douce avec Cecilia ?

— Eileen, c'était dans l'intérêt du plan. Crois-moi que je l'ai évité comme la peste mais elle n'a cessé de me coller. Et quand je l'envoyais balader elle allait voir mon frère. Peu importe, maintenant ! Mon père est mort et si ce n'est pas déjà le cas, il le sera bientôt. Nous devons partir d'ici car au cas ou tu n'aurais pas remarqué, ton armée est à nos trousses !

Et il me saisit de nouveau le bras, autoritaire. Je brûle d'envie de l'envoyer en Enfer, de lui dire que je le déteste et j'ignore dans le fond si ma haine est nécessaire. Au final, il a fait tout cela pour nous mais cela me contrarie qu'il soit resté avec cette peste de Cecilia !

Nous atteignons le fond du couloir et Ander ouvre alors la porte qui laisse apparaître une grande silhouette et sur la lumière qui m'éblouit.

Rewind se retourne et s'exclame :

— Vous en avez mis du temps, les tourtereaux ! On commençait à s'impatienter.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant