Chapitre 65

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Englouti par les ténèbres, c'est exactement ce qu'il ressent. En fait, les migraines sont une belle allégorie de sa vie depuis trois ans.

Ça faisait longtemps qu'il n'en avait pas eu, il en aurait presque oublié l'existence, et surtout la violence.

Il ne l'a pas vu venir, la journée s'est bien passée, même si elle a été chargée, avec la réunion d'équipe éducative, et son moment avec Ana.

Ana... ça faisait longtemps qu'ils n'étaient pas montés sur la terrasse tous les deux. Il aime tellement ces moments volés. C'est comme si à chaque fois qu'ils se retrouvaient, ils semaient l'un et l'autre des petits cailloux blancs sur le passage. Il se pourrait qu'un jour, grâce à elle, il finisse par retrouver son chemin. Elle était restée tard pour lui. Milla a dit qu'elle lui avait tenu compagnie, mais Colin a envie de croire que c'était aussi pour le voir, pour qu'ils aillent sur la coursive tous les deux, parce qu'elle semble apprécier ces rendez-vous clandestins autant que lui, même s'il la trouve plus distante en ce moment. Ah, Ana. Le chaud et le froid. Le souffle brûlant des mots dits à demi qui embrassent le cœur, et le retour sur terre brutal, glacial. Elle a eu une phrase ambivalente, ce soir, Colin ne sait pas trop à quoi s'en tenir, ce n'est pas la première. Ce baiser « ridicule » qui a failli avoir lieu, ce jour où elle lui a fait savoir qu'elle avait un homme dans sa vie, tout en insistant ensuite pour qu'il comprenne que c'était fini, comme si ça le concernait. Il ne sait pas quoi penser de tout cela. Au fond, peu importe, puisque quelle que soit l'évolution de leur relation, ils ne pourront pas avoir d'avenir commun. C'est dommage. En d'autres circonstances, Ana est une femme qui aurait pu lui rendre goût à la vie.

Il est rentré ensuite, et a dîné de pain rassis et de fromage tout en regardant le replay d'une émission d'actualité sur sa tablette, puis il s'est installé sur son canapé pour lire, et c'est vers vingt-trois heures que ça l'a pris. Une barre d'abord, un mal de tête nébuleux, puis les vertiges, la nausée. Il est allé se coucher, et après s'être longtemps retourné, a fini par sombrer dans un sommeil épais, poisseux, collant, sombre, comme un sable mouvant noir dans lequel il avait l'impression de s'enfoncer sans fin.

Au lever, c'était pire.

Il a bu deux cafés qu'il a vomis, son estomac ne supporte rien.

Il est maintenant couché sur le canapé, yeux clos, volets fermés, la main pressée sur la tempe droite. Toujours la tempe droite.

Il doit prévenir Camille qu'ils ne pourront pas se voir. Elle va s'inquiéter. Mentir, encore, c'est ce qu'il faut faire. Il ne veut pas que sa petite sœur s'inquiète pour lui, elle se fait déjà assez de souci. Il va lui dire qu'il a une gastro, ça la tiendra à distance et en général, les gens ne posent pas trop de questions avec cette excuse, c'est parfait.

Il se lève pour partir à la recherche de son téléphone, titube, se rattrape au mur. Un faible cri rauque sort de sa bouche, il voudrait hurler, mais il n'en a même plus la force. Il voudrait se taper la tête contre le mur pour faire cesser la douleur, ce qui est très étrange comme raisonnement, parce qu'au final, il aurait encore plus mal. Il voudrait être mort.

Il trouve son portable dans la cuisine, sur le micro-ondes. Assis par terre, il tape avec difficulté : Pas possible pour ce midi, désolée ma Camomille, je crois bien que j'ai chopé la gastro. Je reste avec mes microbes. Bisous de loin.

Il envoie le message, puis il laisse tomber son téléphone, et s'évanouit.

Il tremble, de peur, de douleur ou de froid. Ana a les mains chaudes. Sur ses joues glacées, ça lui fait un bien fou. Elle l'aide à se relever, à se coucher sur le sofa. Elle passe un linge tiède sur son visage, elle n'a pas l'air inquiète. Elle disparaît tout à coup, mais tout va bien, elle est seulement dans la cuisine. Elle revient avec une tisane, et quelque chose à manger, une sorte de bouillie indéfinissable, mais c'est bon, ça a le goût d'un plat cuisiné avec amour, le parfum du réconfort. Assise sur une chaise près de lui, elle le regarde manger en souriant. Il l'appelle alors, d'un geste de la main et elle s'approche, se penche vers lui. Il en a tellement envie, comment résister plus longtemps ? Il l'attire lentement, et l'embrasse. Ses lèvres ont la saveur d'un fruit d'été, douces et sucrées. Ana ne semble pas surprise, mais elle reste passive, sans toutefois le repousser. Quand il la lâche, elle se recule et retourne s'assoir sur la chaise, sans cesser de sourire. Ses yeux bleus le transpercent.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant