Chapitre 33

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— Oh la vache Colin, comment tu peux vivre ici ?

Camille fait le tour de la pièce horrifiée.

— Il n'y a rien ici, pas de meuble, aucune âme... même pas un canapé !

Le grand frère hausse les épaules.

— Je m'en fiche, c'est temporaire. Le canapé, je l'ai apporté à l'école, et de toute façon, j'y passe plus de temps qu'ici. Entre le boulot et l'aide aux devoirs, je ne rentre jamais avant dix-neuf heures, je vais courir, je mange, je bosse et je me couche. De temps en temps, je vais au ciné, maman m'a offert une carte d'abonnement. Le matin, je me lève tôt, je suis à l'école à sept heures. Alors cet appart, je m'en moque.

Camille hoche la tête, pensive. C'est à peu près propre, plutôt en désordre, plein de cartons qu'il n'a toujours pas pris la peine de vider. Tant mieux, ça ira plus vite pour quitter ce trou à rats.

— Dis, Findus, tu ne veux pas venir vivre avec moi ? C'est pas grand, mais j'ai une seconde chambre, tu serais mieux qu'ici.

Colin sourit, passe un bras autour du cou de sa sœur.

— Tu ne sais pas ce que tu dis. Je suis en train de devenir un sale grincheux invivable, tu ne tiendrais pas deux semaines avant de me foutre à la porte. Allez, dès que j'ai mon salaire, je m'offre un nouveau sofa, et d'ici quelques mois, je pourrais trouver un appartement un peu mieux.

— Colin... si c'est juste une histoire de fric...

— Non, c'est une histoire de fierté. Merci Cams, mais les parents me l'ont proposé aussi. J'ai fait le choix de demander une dispo, de ne plus avoir de salaire, je me débrouille.

La jeune femme détourne le regard. Quand il s'agit du passé, ça ne sert à rien de vouloir discuter avec Colin.

— Et puis, j'ai de l'argent de côté, je n'ai pas touché au montant de la vente de l'appartement.

— D'accord, fais comme tu veux. Mais tu me laisses t'inviter au resto, je vais faire une dépression si je passe encore dix minutes ici.

Colin rit de bon cœur.

— Ça marche ! De toute façon, j'ai une course à faire ensuite, je vais te faire découvrir un endroit magique, et une personne que tu vas adorer, j'en suis sûr !

C'est samedi midi, il y a du monde en ville, d'autant que le temps encore clément remplit les terrasses de badauds en quête des derniers rayons de soleil.

Colin passe, stoïque, devant la brasserie où Sandrine, Salomé et lui avaient leurs habitudes en rentrant du marché. Il a l'impression que c'était une autre vie. Normal, c'était une autre vie. Camille choisit un restaurant japonais, Annelise n'aime pas le poisson cru, et comme son frère n'est pas difficile, elle en profite.

— Alors, cette école ? Tu n'as rien à me raconter ? Comment est l'ambiance ? demande Camille, une fois la commande de sushis, sashimis et autres makis passée.

— Ça va, plutôt sympa. Disons que j'ai un peu fait grincer des dents certains instit en les bousculant, mais de manière générale, l'équipe est bosseuse et agréable. J'ai déjà découvert de belles personnes.

— C'est chouette, c'est une belle manière de te reconnecter à la vie, sourit Camille, sans langue de bois. Et fréquenter des tas de gamins, ce n'est pas trop compliqué ?

— Moins que je l'aurais redouté... Je suis heureux d'aller bosser tous les jours, les journées passent à toute vitesse. Le mercredi aussi, je vais boire un café chez mamie, je l'emmène en courses, je déjeune ensuite avec maman, puis je m'occupe tant bien que mal. C'est le dimanche qui est long. De temps en temps, je vais chez les parents, mais... je ne sais pas, j'ai du mal à y trouver ma place depuis que je suis rentré. L'ambiance est pesante, chaque mot sonne faux... Quand je vois maman en tête à tête, ça se passe bien, mais quand on est chez eux, j'ai l'impression qu'elle me harcèle, elle me pose mille questions, guettant chacune de mes réactions, analysant mes réponses. Et papa ne m'adresse presque pas la parole, comme s'il craignait un mot malheureux à chaque fois qu'il ouvre la bouche.

Camille pose sa main sur le bras de son frère assis en face de lui. Encore une chose que Colin aura perdu dans l'accident, la complicité avec leurs parents. Elle se demande si ce sera la même chose pour elle quand elle aura avoué son homosexualité, son père mutique et sa mère qui pose des questions à tort et à travers.

Après le déjeuner, Colin emmène sa sœur dans la librairie de son ami Thomas.

Sarah, la sœur de celui-ci gère le commerce en attendant le retour de Tom et de sa fiancé Louise. Elle a pris la suite pour lui rendre service quand il est parti rejoindre Louise en Italie, à la base, il ne devait s'agir que de quelques semaines. Après sa tentative d'assassinat et les trois semaines de coma, il semblerait que la tâche se prolonge. Thomas, grièvement blessé à la jambe, est actuellement dans un centre de rééducation près de Naples, et voilà trois mois que Sarah est seule dans la librairie, seulement épaulée par les amis du couple le week-end. Si Sarah n'a pas hésité une seconde à accepter la requête de son frère chéri, il n'en reste pas moins que les livres ne sont pas sa passion. Le contact avec les clients, elle adore ça, la gestion, elle fait ce qu'elle peut, mais lire trois ou quatre bouquins par semaine, parce que ça fait partie du métier, c'est non. Alors, elle a trouvé un deal avec Colin, le copain de son frère qui passe toutes les semaines prendre des nouvelles : elle lui donne les livres reçus des éditeurs gratuitement, il est heureux de lire à l'œil et en échange, lui prépare de petites fiches à destination de la clientèle.

En entrant dans la librairie, Camille a immédiatement un coup de cœur, autant pour la chaleur du lieu que pour la drôle de jeune femme aux cheveux d'ébène, maquillage sombre et pantalon de cuir qui tient l'endroit. Sarah l'accueille comme une amie, puisqu'elle est la sœur de Colin qui est un ami de son frère, c'est presque la famille. Camille fait un tour dans les rayons, puis se pose avec un roman et un café dans le coin salon de thé pendant que Colin aide Sarah qui ne comprend rien au logiciel qui gère les stocks. Deux jumelles arrivent aussi, avec un visage et une corpulence identiques, mais des looks si différents qu'on dirait la même personne avant et après un relooking. L'une est brune aux cheveux longs, habillée d'une mini-jupe, l'autre se cache derrière des lunettes, dans un jean et un pull aussi classique que son petit carré châtain clair.

Colin abandonne son ordinateur pour présenter les jumelles à sa sœur.

— Cams, voici Charlotte et Capucine, des amies de Tom et Louise, qui viennent donner un coup de main à Sarah le samedi.

— Enchantée, je suis la sœur de Colin, répond Camille en tendant sa main, mais Charlotte l'embrasse sur les joues.

— Salut Camille, bienvenue ici.

Quand ils quittent la librairie deux heures plus tard, Camille est sous le charme de ces personnalités attachantes qu'elle a rencontrées cet après-midi.

— Ah bien mon Colin, t'es bien entouré, ça t'en fait un sacré harem !

Il rit de bon cœur.

— Alors... Charlotte est en couple avec un rital baraqué, Capucine mariée depuis dix ans et Sarah, même si elle est adorable, n'est pas exactement mon genre...

— Et à l'école, parmi ces collègues « très sympas », il n'y aurait pas une célibataires ou deux ?

Cette fois, Colin ne rit plus. Il murmure simplement :

— Ce n'est pas encore le moment.

Camille n'ajoute rien. C'est juste une phrase mais le ton, la tournure, l'emploi de l'adverbe « encore » lui donne un formidable espoir pour la suite.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant