Chapitre 94

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— Je n'arrive pas à y croire, fait Léo en secouant la tête.

Il boit une gorgée de sa vodka tonic, et repose le verre un peu brusquement sur la table du restaurant où ils se sont retrouvés tous les trois, le jeudi soir exceptionnellement, en cette veille de long week-end du 8 mai.

— Désolée que ça te contrarie mais c'est comme ça, réplique Ana d'un ton un peu cassant. Et moi j'ai bien kiffé, si tu veux savoir.

— Honnêtement, je ne comprends pas comment tu as pu t'embarquer là-dedans en sachant que ça ne te mènerait nulle part. A ce stade, c'est du masochisme.

— Tu n'as pas tort, admet Ana. Mais imagine que tu sois privé de chocolat. Le médecin t'annonce que tu es devenu mortellement allergique, tu ne pourras plus jamais en manger de ta vie. Mais avant d'en être définitivement privé, tu peux te faire un dernier repas, en toute sécurité, en avaler autant que tu veux. Gâteaux, crèmes, glaces, pralines, tout ce dont tu rêves, à base de chocolat. Franchement, tu n'en profiterais pas ?

— Moi, je me gaverais, glousse Julie.

— Eh bien voilà, je me suis gavée de Colin.

— Et vos ébats étaient aussi variés que les mets que tu nous as décrits ? demande Julie avec un petit sourire.

Ana se sent rougir en se remémorant leurs nuits et se penche vers son amie.

— Encore mieux que ce que tu imagines. On peut dire qu'on a rattrapé le temps perdu.

— Quand je pense que demain ça fera exactement onze semaines que Rodrigue ne m'a pas touchée... Oui, je tiens le compte.

— On se recentre, les dindes, les interrompt Léo-Paul. Ana, ta métaphore ne veut rien dire, c'est ridicule. Tu parles de manger du chocolat en toute sécurité, c'est n'importe quoi. Et ta sécurité affective, elle est où, hein ? Elle est où ?

— Laisse-la tranquille, Léo, elle fait ce qu'elle veut. Allez, Ana, raconte–nous, c'est tellement romantique.

— Mais je t'ai déjà tout dit au téléphone, rit Ana.

— Non, tu m'as juste dit que tu l'avais rejoint et que vous étiez partis, maintenant je veux la version longue, avec les détails.

— Moi, ça ne m'intéresse pas, boude Léo.

Ana lui décroche un regard assassin.

— Casse-toi, alors.

— Sûrement pas, j'ai commandé des linguine aux Saint-Jacques, mais c'est juste pour cette raison que je reste. ­

— Mouais, c'est ça, se moque Julie, je suis sûre que tu meurs d'envie d'écouter la belle histoire d'Ana et Colin à la mer.

Léo lève le menton en détournant le regard, mais son petit sourire ne trompe pas.

— Bon, alors, commence Ana, Je ne sais plus ce que j'ai raconté à qui, alors je reprends du début. Après l'avoir planté là, tout seul sur le parking, je suis rentrée chez moi, vraiment mal. C'était dingue, j'avais tellement envie d'y aller, de faire un truc fou pour une fois dans ma vie, de sortir de ma routine. Et d'un coup, je ne sais pas ce qui m'a pris, je me suis dit, tu es seule pour une semaine, sans boulot, sans famille, sans obligations, le mec dont t'es amoureuse te propose une virée, et tu refuses. Ça m'a paru complètement ridicule, alors d'un coup, j'ai sorti ma petite valise, j'ai jeté dedans des culottes, des robes, un jean et quelques hauts, ma trousse de toilette, et je suis partie, vite, vite avant de changer d'avis.

— C'est de la folie, pourquoi tu n'as pas attendu le lendemain ?

— Parce que je sais bien que je ne serais jamais partie le lendemain. La nuit porte conseil, je me serais raisonnée, et je n'aurai plus osé.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant