Chaque nuit débute invariablement de la même manière. Colin met du temps à s'endormir, beaucoup de temps. Puis, chaque soir, le même cauchemar, à peine a-t-il cédé au sommeil.
Ils sont tous les trois dans la voiture, il conduit. C'est une autoroute, ou une nationale. Soudain, une épaisse fumée noire emplit l'habitacle, ou c'est le pare-brise qui devient opaque. On ne voit plus rien. Et lui, au lieu de ralentir, il accélère. Sandrine et Salomé hurlent de terreur, mais il ne peut pas freiner, ni dessouder son pied de la pédale d'accélération. Le véhicule va de plus en plus vite, comme un cheval fou lancé à toute allure. La voiture fait des zigzags, des embardées, heurte la glissière de sécurité, puis c'est le black-out. Il se réveille au moment du choc.
Chaque soir, le même cauchemar.
***
Ce vendredi matin, Colin se lève tôt, bien plus tôt que d'habitude. La réunion n'aura lieu qu'à dix-sept heures, mais il est fébrile. Il s'assoit dans le lit, et frotte son front, comme pour remettre ses idées en place. Il entend la voisine crier dans l'appartement mitoyen. Elle est en retard, c'est tous les matins la même histoire. Elle dit à sa fille de se dépêcher, mets tes sandales, ta robe est mal boutonnée, alleeeeez ! Les talons claquent, puis c'est la porte de l'appartement, vlan ! Colin a parfois l'impression que c'est une manière de se donner de l'importance, faire du bruit comme ça. C'est une mère célibataire. La gamine n'a pas de père, ou il vit à l'étranger, il ne se souvient pas. Il n'a surtout pas trop écouté, quand Estelle lui a raconté sa vie, alors qu'il n'avait rien demandé. Elle lui fait de grands sourires quand ils se croisent. Elle dit on devrait prendre un verre ensemble un de ces quatre. Colin n'a pas envie, elle parle trop, et surtout, elle crie. Il n'aime pas les femmes qui crient. Sandrine ne criait jamais, même quand elle était fâchée.
Il ouvre la fenêtre de sa chambre en grand, et regarde les toits de la ville. Le quartier n'est pas terrible, mais avec ce qu'il touche, il ne peut pas prétendre à mieux pour le moment. Il y a un tas de bacs poubelles dans la petite cour en bas, heureusement qu'au neuvième étage il ne perçoit pas les odeurs fétides qui doivent s'en dégager en cette fin juin. Il laisse l'air doux entrer, se rend dans la salle de bains. Une douche. Chaude, en toute saison. Ça faisait rire Sandrine, mon petit mari frileux, se moquait-elle avant de l'embrasser. Il se dirige ensuite vers la cuisine, allume sa machine à café et la radio. Il ne mange pas, ni biscuits, ni tartines de beurre et confiture. Colin ne peut rien avaler le matin, sauf du café. Serré et sucré. Beaucoup trop de café. Ça lui retourne l'estomac, et lui colle la nausée, des palpitations, mais il fait la même erreur chaque jour. Son médecin l'engueule. Il dit qu'il va finir avec une gastrite, un ulcère même, comme s'il avait besoin de ça, encore. Colin sourit, le café, c'est mieux que la bière ou la vodka, non ? Certes, soupire le docteur Davadant, mais ce n'est pas une raison. Vous n'êtes pas raisonnable, monsieur Le Guellec.
Un café, deux cafés.
Il fait beau, déjà très chaud malgré l'heure matinale. Colin se demande ce qu'il doit porter. Un bermuda, sûr que non. Un jean ? Un pantalon de coton peut-être ? Quand même pas un pantalon de costume... Et en haut ? Une chemise ? A manches longues, c'est mieux. Et de vraies chaussures, pas de baskets. Il regrette les années d'Afrique, où il passait ses journées en short et tee-shirt, ou sarouel de lin, ses pieds nus ou simplement protégés par une paire de tongs.
Trois cafés.
Il va se raser aussi, ça fait net, ça met en confiance. La barbe de trois jours, ça donne une impression de négligé, mon chéri, lui répète Anouk, sa mère, les sourcils froncés. Sandrine aimait ça, elle disait viril, sexy, pas négligé. Mais Salomé râlait, ça pique tes bisous, Papa ! Alors, pour plaire à ses deux amours, il était barbu à mi-temps. Il passe les doigts dans ses cheveux noirs, coupés courts. Ça au moins, ça ira, pas besoin d'aller chez le coiffeur.
VOUS LISEZ
Colin Maillard et chat perché
Romance"C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les...