Voilà bientôt deux semaines que Colin et Ana ont passé la journée ensemble pour leur « Rallye à souvenirs », comme ils l'appellent. Et c'est un lien de plus entre eux. Comme une chaîne, à laquelle on ajouterait un maillon à chaque rencontre, chaque sourire, chaque regard complice, chaque confidence ou moment partagés. Ils se retrouvent parfois le soir, après la classe, dans l'une des pièces de l'école, bureau de Colin, classe d'Ana, salle des maîtres, ou, quand il ne pleut pas, dans leur lieu préféré ici, la petite coursive cachée.
Une chaîne qui les relie.
Ana pense souvent aux paroles de Milla. Elle ne se voile pas la face, et sait ce qui est en train de se passer, dans sa tête et dans son cœur. Mais tant pis. Elle prend ce qu'il lui donne, picore les miettes comme un moineau, les fait un peu trop souvent passer avec une bouteille de blanc, ou quelques verres de vodka. Elle ne dit plus rien à Julie et Léo, ou si, pire, elle leur livre quelques infos savamment sélectionnées, parfois inventées, pour les égarer encore plus sur le chemin de ses propres mensonges. Elle prend du recul avec Colin dans les anecdotes qu'elle leur narre, alors que dans ses rêves, elle est tout contre lui. Et dans la réalité ?
C'est très difficile de définir ce qu'elle ressent à son égard, il y a un attachement très fort, une grande admiration, mais de l'amour ? Elle n'est pas sûre d'avoir un jour ressenti ce grand amour dont parlent les livres, celui qu'elle a vu, par exemple entre Sam et Milla, alors, saurait-elle le reconnaître ?
Elle ne désire pas Colin.
Mehdi, elle avait envie de lui, c'était physique, animal, tandis que ce qu'elle éprouve pour Colin est plus intellectualisé, comme si elle s'éloignait des besoins primaires pour se concentrer sur le reste. Mais quel reste ?
Notre relation est bien au-delà de cela, tente-t-elle d'analyser. Puis elle hausse les épaules. Quelle relation ?
Collègues, amis, confidents. C'est déjà beaucoup, il n'y aura rien de plus.
***
Dans l'Est de la France, le Saint-Nicolas est presque aussi important que le père Noël. Et ce matin, vendredi six décembre, il passe dans les classes de l'école, écoute les chants que les enfants ont appris avec leur enseignant, puis il distribue un sachet de friandises à chaque élève.
Émilie couvre des yeux les petits, l'air attendri, leur mine à la fois ravie et craintive. Puis son regard se voile. Est-ce que Lilian et Mathéo ont eu un chocolat ce matin ? Où seront-ils pour les fêtes de fin d'année ? Quel souvenir garde-t-on de Noël quand, à sept et quatre ans, on le fête sans ses parents ?
Cela fait trois semaines aujourd'hui. Le juge a dû statuer, mais ils n'ont aucune nouvelle. Ils ne sont plus concernés par le sort de ces gamins, écartés d'office, et c'est un peu dur à encaisser, surtout qu'elle se soucie probablement plus d'eux que les agents sociaux qui les ont croisés ces derniers jours. J'appellerai l'assistante sociale la semaine prochaine, a promis Colin, mais je ne sais pas s'ils accepteront de nous livrer des infos. Ce n'est pas juste.
Emilie y pense plusieurs fois par jour, surtout quand elle s'occupe de Basile, son fils. Quand elle lui cuisine son plat préféré, ou de la soupe, parce que les légumes, c'est bon pour la santé. Quand il enfile son pyjama bien repassé, se glisse dans les draps frais et qu'elle observe Pierre lui lire une histoire. Quand ils bravent le froid ou la pluie pour faire du vélo, ou se balader au parc pour qu'il puisse courir et se défouler, et tant pis pour la boue sur le pantalon. Quand le soir elle l'embrasse, sur la joue droite, la gauche, puis sur le bout du nez, c'est leur rituel. Quand, la nuit, il pleure, parce qu'il a fait un cauchemar, qu'il a soif ou peur d'aller aux toilettes, et qu'elle est là pour lui, le rassurer, le consoler, l'aider, l'aimer. Elle y pense surtout quand, comme tous les enfants, Basile fait des crises, des colères ou des caprices, et qu'elle s'exhorte au calme. Elle qui déjà n'avait pas l'habitude de crier, ne s'emporte plus jamais.
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Colin Maillard et chat perché
Romance"C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les...