Chapitre 21

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Chérif est très stressé. Impatient, mais surtout stressé. Les syndicats l'ont prévenu avant-hier de son affectation ; c'était une grande chance un poste si près quand on débute, alors tant qu'il n'avait pas reçu son arrêté de nomination dans sa boîte mail académique, il n'arrivait pas trop  y croire. Pourtant c'est bien ça. Il a appelé immédiatement, mais à une semaine de la rentrée, personne n'a décroché, alors il s'est contenté d'une recherche goggle. C'est une grosse école, plus de dix classes a priori, il est soulagé de commencer comme ça, c'est l'idéal pour sa première année, il y aura pas mal de collègues pour l'épauler en cas de besoin. Il espère que les gens seront sympas. Il espère qu'il ne sera pas le seul homme. Il espère qu'il ne va pas se retrouver avec des CP ou une classe poubelle remplie d'élèves dont personne ne veut.

Il a sa réponse le lundi matin, alors qu'il tente, à tout hasard, de joindre à nouveau l'école. Il est presque surpris d'entendre une voix lui répondre.

— Ecole Jacques Prévert, bonjour !

— Ah, euh, oh, bonjour, begaye-t-il. Chérif Alaoui à l'appareil, je viens d'être nommé à l'école.

— Félicitations, et bienvenue parmi nous ! Je suis Colin Le Guellec, le directeur, et avec toi, l'équipe est au complet ! Tu hérites malheureusement d'un cours double, désagrément des nouveaux arrivés, j'en suis désolé...

— Ce n'est pas grave. Vous savez de quels niveaux il s'agit ? demande le tout jeune enseignant en retenant son souffle.

— Un CM1-CM2... ça ira ?

— C'est parfait ! s'exclame Chérif, tellement soulagé de ne pas se retrouver avec des petits.

— La pré-rentrée est fixée à vendredi. Vous êtes dans vos classes le matin, réunion à treize heures trente. Je suis là tous les jours si tu veux passer cette semaine.

— Je peux venir tout de suite ?

— Bien sûr, rigole le directeur. Je te montrerai ta classe et te donnerai ta liste d'élèves. Et tu pourras récupérer un catalogue de fournitures si tu veux compléter ce qu'on a commandé pour toi. Je t'expliquerai tout.

— J'arrive ! Je serai là dans une demi-heure !

***

Chérif est toujours aussi stressé à l'idée de faire sa première rentrée, mais il est aussi soulagé. Le directeur est un type assez jeune, très sympa, qui, en apprenant que le petit nouveau était débutant, lui a promis de l'épauler. Il a une belle classe, au deuxième étage certes, mais lumineuse, avec un mobilier quasi neuf. L'école ne lui a pas paru très accueillante à première vue, mais après une entrée froide bordée de marches en terrasso, Chérif a découvert des couloirs égayés  par des affiches de peintures célèbres et une salle des maîtres plus confortable que son propre salon, dans laquelle Colin a déniché quelques manuels pour l'aider.

Sa maman est passée chez lui, pour lui déposer des gâteaux. Cornes de gazelles, Baklavas aux amandes, et ses préférés, les makrouts.

— Tu dois manger mon fils, le miel, c'est bon pour le cerveau. Tu en apporteras à tes collègues aussi, c'est fatiguant la rentrée.

Elle est fière Salima, tellement fière de son grand garçon. Chérif est l'aîné de ses six enfants. En arabe, son prénom signifie « noble », et la maman se dit qu'Abdel, son mari, et elle n'auraient pas pu choisir un meilleur prénom. Leur fils a été un modèle pour ses trois frères et deux sœurs. Sage, toujours gentil et respectueux, bon élève, et pour ses parents, un vrai moteur d'intégration. C'est avec lui qu'elle a appris à lire et à écrire en français dès son entrée au CP. Déjà là, il la corrigeait quand elle lisait « Loulou le lapin » :

— La maîtresse a dit « Lulu », 'umi. En français, la lettre « u » ça ne chante pas « ou », disait-il tout doucement.

Qu'il devienne enseignant aujourd'hui, instituteur de la République française, ou professeur des écoles comme il dit, peu importe, c'est une joie immense pour elle. Elle sait que son Chérif sera un maître parfait, il a toutes les qualités pour, et elle ne dit pas ça parce que c'est son fils.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant