Chapitre 28

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Après le lundi de rentrée, le mardi a suivi, plus simple, plus fluide. Déjà, le rythme s'installe, quelques bonnes habitudes se dégagent, et les petits coquins dans chaque classe commencent à se faire remarquer. Pour Ana, le mercredi a été studieux, malgré le travail réalisé pendant les vacances, des cahiers à corriger, les fiches d'urgences et attestations d'assurance à vérifier, trier, ranger, des séances à préparer.

La rentrée en troisième de Natacha s'est bien passée, elle a retrouvé ses deux meilleures amies en cours, l'emploi du temps est « pas dégueu », et les profs plutôt sympas, à part celle d'espagnol, « une vraie peau de vache », dixit l'ado. Ana ne se fait pas de souci, au moins dans cette matière, peau de vache ou pas, ça ira pour sa fille qui comprend bien et parle un peu.

Ana arrive tôt à l'école le jeudi, c'est son jour de service cette semaine, avec Stéphanie et Anne-Marie, deux personnes avec qui elle n'a aucune affinité, à croire que Colin l'a fait exprès. Le directeur est déjà là. Premier arrivé, dernier parti chaque jour, on dirait qu'il vit ici. Elle passe le saluer dans son bureau, il a la tête du type qui n'a pas dormi depuis dix ans, mais l'air heureux. Le début de la semaine s'est bien passé, il se fait doucement sa place parmi l'équipe.

— Oh, salut Ana, déjà là ? Tu as passé un bon mercredi ?

— Oui, bien rempli... Comme le tiens j'imagine. Alors, prêt pour la réunion de ce midi ? ajoute-t-elle avec un sourire.

Il plisse le nez, dans une grimace beaucoup trop charmante.

— Je crois qu'on n'est jamais prêt pour ça... Est-ce que tu crois que tu pourrais verser un somnifère, ou un truc du genre dans le thé de Patricia ?

Elle se penche vers lui, et chuchote sur un ton de confidence :

— Je lui ai préparé un space cake.

Il éclate de rire, et s'enfonce dans le dossier. Ana se dit que c'est sûrement la première fois qu'elle le voit rire de si bon cœur.

— Merci Ana, je n'en attendais pas moins de toi. Et au fait... est-ce que peux te voir un instant après les cours ? Ce ne sera pas long, je vais faire l'aide aux devoirs ensuite.

— Oui, oui, bien sûr, je ne suis pas pressée. Mon ex-mari récupère Nat au collège, elle sera chez lui jusqu'à lundi.

— Ok, parfait. Je te rejoins dans ta classe.

Raisonnable, Colin choisit de se ranger à l'opinion d'Ana et de faire confiance à son expérience quant à la gestion des caractères des enseignants. La réunion du midi est consacrée à l'organisation des APC, Activités Pédagogiques Complémentaires, et Colin est bien décidé à laisser chaque instit organiser ses heures comme il le souhaite : chorale ou soutien, classe entière ou groupe de trois, mardi ou vendredi, peu importe. Et c'est un succès. Patricia, raide dès le début de la réunion, s'est détendue devant sa nouvelle liberté, alors qu'avec Brigitte, thèmes et horaires étaient imposés. Bon évidemment, ils ignorent que c'est un simple tour de passe-passe, histoire de mieux faire avaler la pilule du nouveau projet de décloisonnement qu'il est en train de monter. Mais peu importe. L'essentiel est que les collègues soient contents et qu'il ait réussi à fédérer l'équipe. Il se sent enfin plus serein. Prêt à affronter la suite. Assis devant l'une des tables qui constitue de grand O de la salle, il laisse son regard passer de l'un à l'autre. Bernard et Anne-Marie sont sortis s'intoxiquer dès la fin de la réunion, les autres sont tous là, bavardant ou terminant de corriger copies et cahiers. Laurence montre à ses voisins les photos de l'anniversaire de son petit-fils, Milla raconte les dernières bêtises de ses filles, Sandra explique combien elle a du mal à tomber sur un mec bien. Son regard croise celui d'Ana. Ses yeux sont incroyables. D'un bleu vif, chaleureux comme l'azur d'été, ou glacial comme le ciel d'hiver. A cet instant, ils pétillent de joie, et il lit une sorte de fierté. C'est une chouette partenaire qu'il s'est choisi, c'est sans doute cette certitude, à cet instant, qui le décide à lui avouer la vérité, à elle. Parce qu'il est bien obligé, pour des raisons de sécurité, de se confier à quelqu'un, et ça ne peut être qu'elle.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant