Chapitre 86

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Anouk a cuisiné un agneau de sept heures. Le secret, c'est de commencer la veille. On saisit la viande pour la faire dorer avant de la laisser braiser longuement à feu doux dans la cocotte. Une nuit de repos, et on termine la cuisson le lendemain. Cela assure une viande juteuse et fondante. Avec de la semoule et des aubergines confites, sa famille va se régaler. Pour égayer un peu la maison, elle a cueilli un gros bouquet de forsythia qui s'épanouit sur la table de la salle à manger, et y a accroché quelques œufs décorés qu'elle a retrouvés au grenier. Cela faisait plusieurs années qu'elle ne l'avait pas fait, toutes ces années où elle avait fêté Pâques sans son fils. L'an dernier, il était rentré quelques jours après. Quel dommage.

Jacques s'est moqué d'elle. Il dit qu'il ne voit pas la différence entre Pâques et un autre dimanche. C'est vrai qu'ils ne sont pas pratiquants, et depuis qu'il n'y a plus d'enfants qui vont chasser les chocolats dans le jardin, ça ne change plus grand chose, mais il faut savoir faire la fête, saisir les opportunités. Et puis, comme dans quelques jours son grand Colin fêtera ses trente-huit printemps, autant en profiter. Sa sœur et son beau-frère se retrouvant sans leur fils parti passé le long week-end à Amsterdam avec sa copine, elle les a invités aussi. Ça fera un peu plus de vie à table, un peu plus de monde puisque ses propres enfants, eux, ne semblent pas vraiment pressés de ramener quelqu'un à la maison. Enfin, chez leurs parents, quoi. Ça lui brûle la langue. « Refais ta vie ! » à Colin. « Pose-toi ! » à Camille. Mais elle sait que ça ne servirait qu'à les fâcher, trop indépendants ces enfants. Alors elle se tait, et cuisine un bon repas, c'est déjà ça. Pour le dessert, elle va faire un vacherin avec les premières fraises de la saison.

A midi pile, le repas est prêt, la table est mise, la maison est propre et rangée, la seule chose qui traîne, si l'on peut dire, c'est Jacques qui écoute ses vinyles de Jazz au casque dans le salon, en battant la mesure avec son pied. Camille arrive la première, avec mamie Jo. La jeune femme a acheté une énorme poule en chocolat chez un Meilleur Ouvrier de France de la ville, qu'elle place au centre de la table, et Joséphine pose sur chaque assiette un petit lapin en praliné. Colin les suit de peu, avec une boîte de Ferrero rochers et un gros bouquet pour sa maman, qui rosit de plaisir en les recevant. Il sourit en se souvenant combien les fleurs font plaisir aux femmes. Il en offrait souvent à Sandrine, et jamais pour une occasion particulière. Juste pour voir la joie sur son visage.

En rejoignant son père, sa sœur et sa grand-mère dans le salon, il s'arrête un instant devant les œufs suspendus sur le bouquet de fleurs jaunes.

— Ça t'ennuie que j'ai ressorti ça ? demande Anouk à côté de Colin, un peu gênée.

Du bout du doigt, il touche l'une des suspensions, des coquilles d'œufs vidées que sa mère et Salomé avaient trempées du colorant pour les marbrer.

— Non, c'est joli. C'est important de garder les beaux souvenirs.

La tante Évelyne et son mari Patrick ne tardent pas à arriver non plus, avec un gros ballotin d'un chocolatier réputé, et tout le monde s'installe dans le salon pour l'apéritif. Jacques débouche une bouteille de champagne et commence à servir le vin pétillant dans les flûtes.

— Pas pour moi, merci, refuse poliment Colin.

Six paires d'yeux se tournent vers lui, tout le monde, sauf Patrick qui s'en fout.

— Ah bon, mais pourquoi mon chéri ? C'est du très bon, regarde, c'est du Mumm...

— Oui mais je... j'ai un peu trop fait la fête hier soir, on a fêté mon anniversaire en avance. Je vais éviter l'alcool aujourd'hui.

— Rhooo mais bien sûr ! s'écrie Anouk, folle de joie à l'idée que son fils ait repris une vie sociale un peu plus active. Qu'est-ce que tu veux ? Du jus d'oranges, c'est plein de vitamines, ou un soda, une eau pétillante ?

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant