Chapitre 7

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GROUPE SCOLAIRE JACQUES PRÉVERT

Colin reste quelques minutes devant le haut bâtiment de pierres, il a pas mal d'avance. C'est un établissement assez traditionnel, conforme à ce qu'il avait imaginé. Ça lui fait tout drôle d'être là. Trois ans qu'il n'a plus remis les pieds dans une école, il a l'impression que c'était une autre vie, et forcément, même si les lieux n'ont rien à voir, des tas de souvenirs affluent.

Il a hâte de rencontrer l'équipe, de prendre la température, se rendre compte de l'ambiance, des liens unissant les différents collègues. Ça le fascine. Sociologue, c'est un métier qui lui aurait plu. Observer les interactions entre les personnes, étudier le genre humain, analyser l'impact sociétal sur les comportements... Mais une école, ce n'est déjà pas si mal. Les instits constituent un vrai microcosme à eux-mêmes, et quel formidable terrain pour exploiter ce projet qui lui tient tant à cœur. Mais chaque chose en son temps. Pour cela, il lui faudra encore un peu de patience, et il sait combien il lui sera difficile d'imposer ses idées, surtout en évitant la coercition.

En attendant, simplement retourner au travail, c'est déjà formidable. Il est parti sur un coup de tête, incapable de remettre les pieds dans l'école où il enseignait, et, s'il lui a fallu quelques semaines pour digérer la nouvelle de sa réaffectation forcée, il en est maintenant très heureux. Quelque part, partir lui avait sauvé la vie, et revenir aussi, son esprit obéissant à l'impérieux besoin de reprendre sa vie en main. Il est tellement impatient de recommencer à bosser pour de vrai, se lever chaque matin avec un but, un endroit où aller, rentrer en sachant ce qu'il fera, où il ira le lendemain. Dormir mieux aussi peut-être, d'un sommeil juste et mérité. Il appréhende un peu le fait de se retrouver entourés de petits, d'enfants qui auront l'âge de sa princesse au moment du drame, ou celui qu'elle aurait aujourd'hui. Mais qu'importe. Il s'y fera, et n'imagine pas faire un autre métier. Il aurait préféré reprendre une classe, comme avant. Petite section de maternelle ou CM2, peu importe, mais travailler avec des élèves, ce n'est plus possible. Trop de risque, a dit le médecin. Il faut trouver le juste milieu : un bureau, la direction, c'est déjà bien Monsieur Le Guellec, ne soyez pas trop gourmand.

La porte est ouverte, il entre sans sonner, trouve le bureau de Brigitte Griezmann du premier coup, à droite en haut des quelques marches qui le mènent au hall. Avant de s'y rendre, il regarde autour de lui, respire l'odeur des lieux, comme pour s'en imprégner. Une énorme photocopieuse trône dans un renfoncement, près d'une table avec massicot et poubelle à couvercle jaune. Au pied d'une armoire sont abandonnés des ballons en mousse, une caisse d'élastiques, de cordes à sauter, de craies. Un grand escalier de pierre, aux marches polies par les milliers de petons qui les ont foulées au cours des années, monte vers les étages supérieurs et plusieurs gilets, vestes, casquettes oubliés décorent la rampe. Les murs sont couverts d'affiches de peintres célèbres et de productions des enfants, il y a une vitrine avec les coupes gagnées par les différentes classes aux rencontres sportives. Il entend des voix, des rires venant des différentes salles de classes. Ça sent la vie ici, se dit Colin, satisfait. Une femme de ménage passe avec son lourd chariot, le regarde d'un air suspicieux en marmonnant un « bonjour », il se décide alors à s'approcher du bureau, et frappe doucement à la porte ouverte, pour ne pas faire sursauter la petite femme blonde et bouclée qui agite tout un tas de feuilles d'un air pressé.

— Oui ? fait-elle en tournant son visage rond vers lui, lunettes sur le bout du nez.

— Colin Le Guellec, répond-il simplement en s'avançant, la main tendue.

Elle lui sert la main en souriant.

— Enchantée, Monsieur Le Guellec.

— Colin, rectifie-t-il. De même.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant