Chapitre 88

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Il est arrivé très tôt, exprès, encore plus que d'habitude. Plein d'espoir aussi, parce qu'il est sûr qu'Ana viendra plus tôt elle aussi, pour qu'ils puissent avoir un moment à eux avant la classe et l'arrivée des autres.

Il est très fier d'avoir réussi à lui obéir, de tout le week-end, il n'a pas cherché à la contacter, alors que ses derniers mots ont résonné durant ces quatre jours si longs, comme une sentence.

Mais il connaît Ana. Il a respecté son besoin d'éloignement, elle va revenir de bonne humeur, avec son sourire indulgent, et cette curieuse dispute sera très vite oubliée. Il a déjà sorti sa tasse du placard, pour lui servir un café, dès qu'elle arrive. Ça va lui faire plaisir.

Il attend sur place, remuant des revues, refermant la trousse de matériel à disposition, rangeant les sachets de thé bien droits dans la boîte. L'anxiété monte avec l'attente.

Le téléphone sonne, bonjour, c'est la maman de Doriane, au CP chez Mme Lamaze, elle sera absente aujourd'hui, elle a eu de la fièvre. Oui, c'est noté, merci d'avoir prévenu.

Il ressort vite de son bureau, il ne veut pas louper Ana. Il passe dans sa classe, voir si elle est arrivée pendant le coup de fil, mais la porte est toujours fermée à clef. Chérif entre, suivi de Sam et Milla, puis Laurence et Patricia, Émilie, même Jérôme. Colin fronce les sourcils, il ne comprend pas. Il hésite à l'appeler, mais elle est sans doute au volant. Il est huit heures quinze, elle ne va pas tarder. Stéphanie surgit à son tour, elle a des questions à lui poser sur le cycle badminton, les employés municipaux pourraient–ils installer les filets entre midi et deux au gymnase ? Parce que ça prend un temps pas possible.

Par-dessus l'épaule de la grande blonde chevaline, il voit arriver Ana, presque en courant. Elle s'arrête en salle des maîtres déposer son repas au frigo, et passe à côté d'eux en coup de vent.

— Salut, salut tout le monde ! crie-t-elle à la cantonade. Elle jette son sac dans sa classe et ressort presque aussitôt en nouant un foulard autour de son cou.

Colin tente de l'intercepter, avant qu'elle ne se rende dans la cour.

— Bonjour Ana, fait-il avec son plus beau sourire, mais il ne récolte qu'un regard froid, à la limite de l'indifférence.

— Salut Colin. Désolée, je suis de service.

Il la regarde sortir, vite rejointe par Maryam et Patricia. Ce regard, ce ton, c'est pire qu'une gifle. Ana n'a rien digéré, rien pardonné, rien accepté. Elle lui en veut, elle lui fait la tête. Depuis la vitre du couloir, il l'observe, poings serrés. Ça lui fait mal. Elle discute avec les autres, au milieu de la cour, se penche sur un élève qui semble lui poser une question, adresse un signe à un parent au loin. Elle est normale, elle a même l'air de bonne humeur, alors qu'elle vient, d'une certaine façon, de l'exclure.

Il a envie de sortir pour aller la chercher, la sommer d'avoir une discussion maintenant. Mais il ne peut pas. Et puis, lui dire quoi ? Chacun restera campé sur ses positions. Ce soir, ça ira mieux. Ils se retrouveront après la classe, ils pourront en parler tranquillement, se rassure-t-il sans penser que si l'état d'esprit d'Ana n'a pas évolué au cours du week-end de quatre jours, il y a peu de chances que ce soit le cas lors de cette seule journée.

Il avale sa salive et sa peine, et s'éloigne de la fenêtre pour se joindre au groupe qui bavarde en attendant son tour à la photocopieuse.

Toute la matinée, il enchaîne les tâches administratives, pour se dégager du temps à midi. Il ne prend même pas de pause à la récréation, de toute façon, Ana est dans la cour. Il boucle plusieurs inscriptions en maternelle pour septembre, deux réservations de bus, un appel de l'adjoint aux affaires scolaires, un autre de l'inspectrice, la commande sur le site de loisir créatif que réclament les collègues de maternelle, un rendez-vous pour une réunion d'équipe éducative, le point avec l'APE pour le goûter de la fin de la semaine, qui marquera à nouveau le début des vacances scolaires. Quand la cloche sonne à midi, il s'échappe en même temps que les élèves et file jusqu'à la boulangerie en bas de la rue de l'école s'acheter un sandwich au poulet.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant