Chapitre 60

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— Maîtresse, c'est quoi ce bruit ?

— Quel bruit, Louane ?

— Je sais pas, ça siffle, on dirait.

— Ah oui ? Attendez, chut, ne faites pas de bruit... Oh mais oui, tu as raison, j'espère que ce n'est pas un exercice d'évacuation qu'on a raté ! s'exclame Ana après avoir tendu l'oreille.

Si la sirène ou la corne de brume retentissent pour les alertes incendie ou confinement, les risques d'intrusion sont pour l'instant signalés par un sifflet, le même que celui qui résonne actuellement dans les couloirs. Ana se dirige rapidement vers la porte qu'elle ouvre. Le bruit s'interrompt momentanément, puis reprend de plus belle et Ana se trouve face à Colin, sorti de son bureau pour identifier lui aussi la source de ce son strident.

— Colin... ce n'est pas toi qui siffles ?

— Ben non... je ne sais pas ce que... Bon Dieu, c'est un enfant qui crie ! s'exclame-t-il en s'élançant dans les escaliers.

Plusieurs enseignants sont, comme Ana, sur le pas de la porte, sortis pour voir ce qui faisait un bruit pareil. C'est au deuxième étage qu'il trouve Beverly, au bout du couloir, à genou sur le sol, coincé entre le mur et le radiateur. Anne-Marie, accroupie à deux mètres d'elle, essaye de la calmer. L'enfant semble en pleine crise psychotique.

— M'approche pas ! hurle-t-elle à sa maîtresse, Je t'interdis de me toucher !

— Je ne veux pas te faire de mal, je veux juste que tu retournes en classe, négocie Anne-Marie, à bout de patience.

— Que s'est-il passé ? demande Colin à voix basse en s'approchant de sa collègue.

— Je lui ai distribué sa fiche de lecture, comme chaque jour, et comme chaque jour, elle n'a pas posé le crayon dessus. Sauf que moi, je suis instit hein, je bosse pas dans une halte-garderie, alors rien foutre, ça va bien cinq minutes. Je lui ai demandé de se mettre au travail, et mademoiselle a gribouillé sa feuille et sa table, a déchiré le papier et a jeté les confettis par terre. Quand je lui dis qu'il fallait ramasser, elle est devenue dingue, s'est mise sous sa table en hurlant, et quand j'ai essayé de la faire sortir de là, elle s'est sauvée dans le couloir. Je te la laisse, moi j'en ai ma claque de cette gosse, et j'ai vingt-quatre autres élèves traumatisés qui m'attendent pour bosser, eux.

La blonde tourne les talons, et retourne dans sa salle, dont elle claque la porte. Colin, resté seul avec l'enfant, fait signe à Chérif et Laurence, qui observent la scène depuis le pas de leur porte, inquiets et stupéfaits, qu'ils peuvent se remettre au travail.

Comme Anne–Marie, il reste à bonne distance, et s'assoit en tailleur face à elle, sans un mot. Ses yeux sont injectés de sang, elle ressemble à un animal féroce pris au piège.

— Laisse-moi, me touche pas, siffle-t-elle.

Il ne répond pas, sans toutefois ciller, son regard planté dans le sien, il attend la fin de sa crise.

La gamine envoie deux ou trois coups de pattes, comme pour le menacer de blesser, de le griffer alors qu'elle ne peut pas l'atteindre. Devant le manque de réaction de l'adulte, elle pousse à nouveau quelques cris de rage stridents, puis, presque d'une seconde à l'autre, s'affaisse. Dans ses yeux, l'éclat de fureur diminue, Beverly semble tout à coup épuisée. Colin se relève, toujours sans un mot, se rapproche d'elle et lui tend la main.

— Viens, on va se reposer.

Subitement docile, l'enfant se lève et lui donne la main, l'air toujours renfrogné, mais exempt de colère.

Colin laisse la porte de son bureau ouverte, il est interdit pour un adulte de se trouver seul avec un enfant dans un endroit clôt, pose quelques albums de littérature de jeunesse sur le bout du meuble et invite Beverly à s'assoir face à lui. Elle refuse et reste dans un coin, près de la porte, comme si elle voulait pouvoir s'enfuir à tout moment. Il l'ignore, et reprend son travail, se contenant de la surveiller du coin de l'œil. Il se passe près d'une demi-heure avant qu'elle ne vienne chiper un livre pour le regarder à sa place favorite, assise par terre.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant