Quatre semaines. C'est le temps qu'il a fallu à Colin pour s'installer à l'école. Il a commencé par le bureau libéré par Brigitte. Il a sorti chaque classeur des armoires, a tout ouvert, tout lu, tout vérifié. Il a déplacé les tables, réorienté le meuble principal sur lequel il a posé en bonne place une photo de Sandrine et Salomé, il a arrangé la pièce à sa sauce pour se sentir le mieux possible dans ce petit espace. Dans les toilettes des enseignants, il a installé un petit meuble sous vasque avec des serviettes propres, accroché un miroir au-dessus du lavabo.
Mais sa plus grande réussite, c'est la salle des maîtres. Il a commencé par y déposer son propre canapé, dans un coin contre le mur, de toute façon, il en achètera un neuf avec son salaire de septembre. Près du canapé, il a bricolé une bibliothèque improvisée, sorte de boîte à lire où romans et revues côtoient littérature de jeunesse ou ouvrages de pédagogie. Tous les spécimens offerts par les éditeurs et divers fichiers photocopiables commandés par l'école ont été triés et alignés sur une étagère, soigneusement étiquetés par niveau et domaines, à côté d'un kit de secours pour les enseignants qui travailleraient ici, aux récréations ou à midi : stylos rouges bien sûr, et d'autres couleurs, correcteur, ciseaux, règles, bâtons de colle. Les ateliers municipaux ont installé un tableau blanc où le nouveau directeur notera les diverses infos, ainsi qu'un grand meuble à casiers pour que chaque instit de l'école dispose d'un espace propre dans la pièce. Dans un placard vide, il a rangé tasses, couverts, vaisselle, et torchons, puis fait quelques courses qui serviront pour les pauses et les repas ici : biscuits, thé, sucre, café et tablettes de chocolat, sel et poivre, huile et vinaigre, deux ou trois conserves pour dépanner. Sur les murs, des affiches marrantes de Jack Koch, l'illustrateur alsacien ex-instit finissent d'égayer la pièce. Colin est content, il espère que ça plaira à ses collègues.
Mais maintenant, il reste trois semaines et demie, et Colin ne sait pas quoi faire. Il étouffe dans son minuscule appartement. Il s'est remis au jogging, il n'avait pas couru depuis trois ans, heureusement, ça revient vite. Alors, chaque matin, il quitte son T2 déprimant pour un footing, une balade au plan d'eau, ou un café – bouquin sur une terrasse de bar. Mais ça ne suffit pas, il reste encore trop d'heures à occuper. Il serait bien parti quelques jours, mais ses finances sont au plus bas, et accompagner ses parents à Pornichet, passer deux semaines en tête à tête avec eux, non merci.
Mais, au cours d'un déjeuner chez mamie Jo, sa grand-mère, il trouve quoi faire les deux prochaines semaines. Il va lui réaménager son jardin.
A quatre-vingt-trois ans, Joséphine a souvent côtoyé la mort. Elle a perdu son petit frère à seize ans, l'enfant avait été emporté par une méningite. A trente ans, elle enterrait son père, crise cardiaque. Vingt-cinq ans plus tard, c'est son mari, le père d'Anouck qui mourrait d'un cancer du poumon, juste avant sa propre mère, éteinte dans son sommeil après une vie bien remplie. Et enfin, Salomé, son arrière-petite-fille. S'ajoutent à cette liste morbide ses propres oncles et tantes, divers connaissances, amies, voisins du même âge qui meurent à tour de rôle. Alors, Joséphine sait quel regard on ne veut pas voir, elle connait les mots qu'on ne veut pas entendre. Cela soulage Colin, qui sait pourtant que sa grand-mère aura toujours une oreille attentive pour lui, le jour où il aura besoin, ou envie de parler de son drame. Et en attendant, il est content de lui rendre service.
Chaque jour, après son petit tour matinal, il file chez elle et trime le reste de la journée, sous le soleil de plomb ou les averses, ne s'arrêtant que le temps de partager la table de la vieille femme pour le déjeuner, trop heureuse d'avoir son petit-fils avec elle tous les midis.
C'est dur. Il a des ampoules à force de manier pelle et bêche, des courbatures aux bras et le dos en miette à cause des parpaings qu'il a installé pour délimiter le potager. C'est dur, mais ça fait du bien. Faire souffrir son corps pour oublier les maux de l'âme. Evidemment, il a eu une crise. La lumière, la chaleur, l'effort physique, peu importe, la première depuis plus d'un mois. Colin s'est dépêché d'atteindre l'arrière de l'abri de jardin, caché des regards, et de se coucher sur le sol. Quand il est revenu à lui, rien d'avait bougé. La bêche était toujours au même endroit, Mamie Jo somnolait encore devant le talk-show de la 2. Il était passé inaperçu. Heureusement, car comment expliquer à sa grand-mère qu'il était coutumier des crises d'épilepsie ?
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Colin Maillard et chat perché
Romance"C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les...