Chapitre 5

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— Ça va Ana ? Tu as une petite mine, s'inquiète Milla. Tu as fait la fête hier soir ou quoi ?

Ana baisse la tête pour cacher son sourire niais à la collègue avec qui elle surveille la cour de récréation, mais son air gêné n'échappe pas à l'enseignante.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Oh, je suis sûre que ça a à voir avec un homme ! Tu as rencontré quelqu'un ? s'exclame celle-ci.

— Non, pas du tout, j'ai regardé un film et je me suis couchée assez tard...

— Moui, c'est ça, se moque Milla. Enfin, tu fais ce que tu veux, Ana. Juste, il devait vraiment être long ce film, parce que tu as de sacrés cernes, ajoute-t-elle, espiègle.

Ana hésite. Milla est discrète, c'est devenu au fil des années une collègue proche, une amie même, et ça lui ferait du bien de se confier. Mais une telle relation, ce n'est pas facile à avouer, elle craint tellement le regard des autres.

— Si je te raconte, tu me promets de ne pas rire, ni de me juger ? s'inquiète-t-elle. Faïz ! Rends le ballon à ton camarade, il l'avait avant toi !

Milla reste silencieuse un moment, court consoler un petit tombé près des toilettes, puis revient vers Ana.

— Bon, écoute, la plupart des collègues sont au courant, mais toi, tu n'étais pas là, et je ne t'ai jamais raconté la manière dont j'ai rencontré mon mari.

— Samuel ? C'était pas ton collègue ici ? C'est lui que j'ai remplacé il y a trois ans, non ?

— Oui. Mais quand il est arrivé ici, j'étais déjà mariée... avec un autre. Depuis huit ans. Je n'étais pas vraiment heureuse, comme toi avec Xavier, enfin, c'était compliqué, on ne pouvait pas avoir d'enfant, il a eu une liaison et quand je l'ai appris, on s'est séparés, puis je me suis mise... hum... directement en couple avec Sam... Personne ne le savait ici. Je suis tombée enceinte d'Alice au bout de quelques semaines seulement, un accident... J'ai accouché trois mois après avoir signé les papiers du divorce. Ça a été compliqué à gérer pour moi, entre les gens qui pensaient que j'avais trompé mon mari, ou que j'avais utilisé Sam pour me faire faire un gosse, que je n'avais pas attendu bien longtemps pour tourner la page de mon mariage. J'en ai entendu des choses, j'en ai vu des regards accusateurs, et pourtant, ces décisions que j'ai prises sont les plus belles de ma vie... Alors Ana, tout ça pour te dire que je ne te jugerai jamais, déjà parce que ce n'est pas mon genre, mais surtout car je sais trop le mal que ça fait, et qu'on ne sait jamais ce qui se passe dans la vie ou dans la tête des gens.

— Je ne savais pas tout ça...

— Je ne m'en vante pas. A part les quelques collègues présents à cette époque et nos proches, tout le monde pense qu'on s'est rencontré ici et que ça s'arrête là. Je ne parle pas de mon passé et on s'en tient à cette version.

— Jecoucheavecunpostadodevingtans.

— Quoi ?

— Tu as très bien entendu. Ferme ta bouche. Attends, Pauline essaie d'étrangler quelqu'un, non ?

Milla regarde l'instit intervenir, séparer les deux gamines, puis revenir vers elle, la tête basse.

— Ana, il est en couple ton petit jeune ?

— Non.

— Alors profite, qu'est-ce que t'en as à faire ?

— Ma copine Julie me dit la même chose, mais je ne sais pas... C'est trop... bizarre.

— Si tu trouves ça étrange, pourquoi tu as été cherché un mec plus jeune ?

— Je ne l'ai pas cherché... on s'est tombés dessus... Je l'ai rencontré à une fête, il y a cinq mois, au pot de la nouvelle année de la MJC où je prends mes cours de danse. Je ne connaissais pas grand monde, et j'ai bien vu que la moyenne d'âge était bien inférieure à la mienne. Il est venu me parler, on a pas mal discuté et je ne sais pas ce qui m'a pris, je me suis juste un peu rajeunie, j'ai dit que j'avais vingt-sept ans... mais si, dans le noir ça passe ! Lui avait vingt-cinq ans, je ne savais pas qu'il mentait aussi. On avait un peu picolé, je n'avais eu personne dans ma vie depuis des lustres, alors quand il m'a raccompagnée, je lui ai proposé de monter et il a passé la nuit avec moi. Sauf que le lendemain, quand on s'est levés, il a vu les photos de Nat. Je n'ai même pas eu l'idée d'inventer un bobard, et il a beau ne pas être très finaud, il a vite fait le calcul... Au final, ça l'a fait rire, il m'a avoué son propre mensonge. Je ne l'ai pas aussi bien pris, j'étais catastrophée d'avoir couché avec un gamin de treize ans de moins que moi... Je l'ai quasiment mis à la porte, mais il m'a laissé son numéro en partant. J'ai tenu six jours avant de le rappeler.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant