Chapitre 27

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De manière générale, l'école, entre huit heures et huit heures trente ressemble à une ruche, bruyante, bourdonnante, en perpétuel mouvement ; On se presse à la photocopieuse, fait la queue pour le massicot, les tupp s'enchaînent au frigo. Il y a ceux qui sont cool, qui claquent la bise aux collègues en racontant leur week-end (Jérôme, Sandra), celui qui arrive à la dernière minute et qui grille la queue pour les photocopies parce qu'il a « juste une série à faire » (Bernard), celles qui pestent parce que ça fait une demi-heure qu'elles sont là, et elles ont encore plein de trucs à préparer, et ça va sonner, comment elles vont s'en sortir ? (Laurence, Stéphanie, Milla).

Les jours de rentrée, tout est exponentiel. Le stress et l'excitation sont presque palpables, la différence entre les instits organisés et ceux qui ne sont pas du tout prêts est encore plus visible.

Colin est arrivé le premier, bien avant le reste de l'équipe. Comme Brigitte avant lui, il a préparé le café, la bouilloire d'eau et est allé rejoindre ses nouveaux collègues qui commençaient à affluer. Il est élégant pour l'occasion, jean, chemise, veste de costume, et la plupart des enseignants sont sur leur 31. Jolies robes, petites jupes, chemisiers bien repassées. Il s'arrête un instant sur Ana. Penchée sur le massicot, ses longs cheveux noirs rassemblés de côté, elle fronce les sourcils et se mord la lèvre dans un souci de concentration, pour couper ses feuilles bien droit. Sa robe blanche fait ressortir son hâle, et...

— Salut, Colin.

Elle se redresse et lui sourit.

— Bonjour, Ana.

Il s'avance, l'embrasse sur les joues. Elle sent bon, la fleur d'oranger, ou quelque chose comme ça.

— Alors boss, pas trop stressé ? fait Stéphanie en assenant une claque dans le dos du nouveau directeur.

— Ça va, ment-il. Et toi ?

— Oh bah, dégoûtée d'être là oui, mais pas stressée, rigole-t-elle.

Il esquisse un sourire crispé, sans rétorquer que deux mois de vacances c'est déjà pas mal, surtout que de prime abord, Stéphanie ne semble pas être le genre d'instit qui passe la moitié de ses congés à bosser.

Ana est retournée à ses feuilles, alors il se détourne, et rejoint un autre groupe qui discute dans le couloir, en attendant l'heure fatidique.

A huit heures vingt, il est dans la cour, c'est lui qui ouvre la grille, comme un geste fort, symbolique. Il sait qu'il sera l'objet de toutes les curiosités, parents et élèves confondus. Autant se jeter dans la fosse tout de suite.

Ce jour-là, c'est un peu particulier, les familles sont tacitement autorisées à entrer dans la cour, accompagner leur enfant rencontrer le nouvel enseignant, l'aider à porter son cartable trop lourd de toutes les affaires scolaires neuves.

Son cœur se serre. Il se souvient de la dernière rentrée de Salomé. Elle venait d'entrer au CE1. Elle portait une robe grise, avec de petits oiseaux jaune et blanc, des ballerines neuves. Sandrine lui avait tressé les cheveux, une jolie coiffure très compliquée, avec des tas de nattes entremêlées, la petite était si fière. Il la revoit traverser la cour, lui adresser un signe timide à lui qui, une fois dans l'enceinte de l'école, n'était plus le papa, mais le maître de CM1.

Colin secoue la tête. Il doit éloigner ces images, garder les idées claires. Mais se retrouver avec autant d'enfants autour de lui, tant de gosses qui ont l'âge de Salomé quand il l'a perdue, ou celui qu'elle aurait aujourd'hui, c'est aussi dur que ce qu'il avait craint. Il serre les poings, il serre les mâchoires. Maintenant, il ne sera plus jamais le papa, plus que l'enseignant, il doit s'y faire. Plusieurs parents viennent le saluer, faire connaissance, s'inquiéter de ne pas trouver la classe de Mme Machin, le nom de leur enfant sur les listes, ou encore râler parce que Luce et Benjamin ont été séparés, et très vite, il n'a plus le temps de réfléchir, d'écouter le vacarme de ses pensées.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant