Alors que Colin, à trois ou quatre kilomètres de là, en une phrase et quelques mots, s'ouvrait davantage à sa sœur qu'il ne l'avait fait au cours de ces trois dernières années, Ana est assise dans la cuisine de Julie. Le temps maussade a eu raison de la tradition du samedi au parc, et les deux amies prennent un thé, au calme, alors que les enfants regardent un dessin animé dans le salon. Depuis leur dispute du mois d'octobre, chacune marche sur des œufs, leur relation n'est plus si naturelle. Julie n'ose plus critiquer son mari, se plaindre de lui, raconter à Ana sa peine de le voir quitter la maison à l'aube le week-end pour partir faire des trails en forêt, ou se concentrer sur le journal télévisé sans une fois lui demander comment s'est passé sa journée. Et Ana, quant à elle, hésite à évoquer Colin, inquiète que chaque anecdote apparaisse aux yeux de son amie comme une preuve de plus que l'homme est un pervers narcissique dont le seul but est de la manipuler. Alors, elles restent dans le vague, en périphérie de leur vie et de leurs émotions. La dernière série télé, la météo, les enfants, et t'as déjà commencé tes cadeaux de Noël ? Faut que je cuisine pour le réveillon, à ton avis, dinde ou chapon ?
Ana déteste ça. Pour elle, c'est pire que tout, et cette débâcle de leur amitié la blesse profondément. Elle craint que leur lien, très fort depuis bientôt vingt ans ne se distende de manière définitive. Un peu comme avec sa sœur. Est-ce de ma faute ? s'interroge Ana. On dirait une conversation entre deux sociopathes. Rien d'émotionnel, rien de personnel.
—Et sinon, à l'école, tout se passe bien ? demande finalement Julie, prudemment, presque à contre-cœur, quand tous les sujets de conversation badins ont été évoqués.
—Oui, oui, très bien. Les élèves sont fatigués et excités, comme toujours à l'approche des vacances. Les quinze derniers jours vont être épuisants.
—J'imagine.
—Et au fait, Rodrigue va bien ? Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.
—Oui, oui, très bien. Il fait des heures supp au boulot.
—Ah d'accord.
—...
—Bon, je vais y aller, je dois aller acheter mon sapin. Xavier me ramène Nat demain, car il est en déplacement lundi, alors on va en profiter pour décorer la maison.
—Chouette. Amuse-toi bien. A la semaine prochaine ?
—Je ne sais pas, je voudrais faire des petits sablés. On se tient au courant.
Les deux amies s'embrassent, faisant semblant d'ignorer le malaise entre elles, et Ana salue les petits avant de monter dans sa voiture.
Ça lui fait mal. Julie a été là pour elle quand elle est tombée enceinte de Nat, quand elle a repris ses études, quand elle a perdu son bébé, quand elle a quitté Xavier. Tous les moments les plus important de sa vie, les pires, les meilleurs, parfois les deux à la fois, Julie était là. Et réciproquement. Quand elle a rencontré Rodrigue, à la naissance des jumeaux, Méline et Timéo, quand Rodrigue l'a trompée, qu'elle a décidé de pardonner, quand elle s'est retrouvée à nouveau enceinte et qu'elle a dû avorter parce que son mari ne voulait pas d'un troisième enfant, c'est Ana qui l'a accompagnée aux visites, lui a tenu la main, qui l'a consolée quand elle se tordait de douleur face aux contractions utérines avant d'expulser son embryon de six semaines. C'est Ana qui était là, stoïque, s'efforçant de ne pas penser à sa propre histoire. Et aujourd'hui, après tant d'épreuves qu'elles ont surmontées ensemble, leur relation se détériore parce qu'elles n'arrivent plus à communiquer, à accepter le regard, l'opinion de l'autre sur leur vie privée.
Est-ce que ça reviendra ? se demande Ana en bouclant sa ceinture, en démarrant. Est-ce juste une passade, un mauvais moment, comme dans les couples, ou est-ce irréversible ? Notre amitié est périmée. La confiance, le partage, c'est fini.
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Colin Maillard et chat perché
Romance"C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les...