Chapitre 8

283 42 50
                                    

Ça y est, il est lancé. Le plus dur est fait. Rester assis presque deux heures dans une pièce cloisonnée, avec vingt-cinq autres personnes, c'est fait. La suite, ça ira forcément.

Il a bien senti le regard curieux, inquisiteurs, puis un poil mielleux de ses nouveaux futurs collègues, lors de la réunion, puis autour du buffet, avant le défilé pour se présenter. Il a répondu succinctement, évité les questions pièges, éludé les allusions sur son âge qui rend forcément ses futurs collègues suspicieux sur la manière dont il a obtenu un tel poste. Il s'y attendait, mais n'a pas encore trouvé de répartie, un scénario qui lui permettra de garder la vraie raison pour lui.

Après le pot, les différents acteurs de la réunion se sont éclipsés, sans trop tarder, c'est vendredi quand même, la fête de la musique en plus, on va pas passer la soirée à l'école. Ana lui a adressé un sourire, et un petit signe de la main en passant la porte, auquel il a répondu. Il aime bien cette femme. Elle lui semble... apaisante. Il est ensuite resté un long moment avec Brigitte, loin d'être aussi pressée que ses collègues, pour discuter de l'équipe pédagogique. Elle lui a dressé le portrait des enseignants de l'école, qu'il avait pour la plupart déjà pas trop mal cernés. Il la sent émue, impliquée. Elle a beau émailler son discours de « J'en peux plus », « Je l'ai méritée, ma retraire », « Il est temps que ça s'arrête », il voit qu'elle va avoir du mal à lâcher la bride. Et puis, elle parle de ses collègues comme elle le ferait de ses enfants. Comment les prendre, les gérer, les défauts et les qualités de chacun. Elle les materne. Les pauvres, la transition sera rude pour eux.

Il est plus de vingt heures quand ils se saluent sur le parvis de l'école. Brigitte aura beaucoup de travail ces deux prochaines semaines, entre la fin de l'année, les derniers documents à remplir et la prochaine rentrée à préparer, même si elle ne sera plus là, c'est à elle de le faire. Mais ils se reverront en juillet, après le début des vacances. Elle sera dans le bureau tous les matins de la première semaine, il passe quand il veut.

Le petit bout de bonne femme blonde, aux cheveux frisés lui serre la main, et s'éloigne en trottinant vers sa Twingo bleu clair, et Colin reste seul. Après tant de monde, de bruit et d'agitation, c'est un peu dur à encaisser.

Il décide de se promener un peu dans le quartier, découvrir les environs de l'école. Les beaux jours sont enfin là, et il fait très doux. C'est une petite commune, assez calme. Il descend la rue, tombe sur l'artère commerçante, point névralgique de la ville, avenue bordée d'échoppes devant lesquelles les voitures roulent beaucoup trop vite. Colin passe devant une boulangerie, un agent de voyage, une pharmacie, une épicerie, un fleuriste, un coiffeur. Il tourne ensuite à droite, s'enfonçant dans des allées plus résidentielles, entourées de petites maisons mitoyennes et continue au hasard, suivant telle ou telle rue, odeurs de viande cuite sur le barbecue ou cris d'enfants dans les piscines gonflables. Il finit par se perdre évidemment, et utilise le GPS de son téléphone pour retrouver l'école et sa voiture, beaucoup plus tard.

Deux mois. Mais qu'est-ce qu'il va faire pendant deux mois ? Les cours s'achèvent au collège, les jeunes n'ont plus besoin de lui. Hugo bosse la journée, le soir il a sa famille, Camille, sa sœur, est à Hong Kong... si Thomas va rejoindre sa copine en Italie, comment va-t-il pouvoir occuper ses journées ?

C'est en mettant le contact que Colin sent venir l'aura caractéristique, celle qui prévient chaque crise. Il s'agite, brusquement nerveux, sa vision se brouille, puis se modifie, comme s'il regardait à travers le prisme d'un kaléidoscope. Avec le temps, il a apprivoisé les symptômes, a appris à être à l'écoute de son corps pour les gérer seul, sans danger. Il retire alors la clef, sort prudemment de la voiture pour passer sur la banquette arrière, en position latérale de sécurité. Il s'enferme, le temps que la crise passe. Encore heureux qu'il ne soit pas en train de conduire.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant