Février - Chapitre 64

167 34 28
                                    




Quand elle a vu son mari dans le couloir, à la récréation, Milla a retenu un cri de joie et s'est précipité dans ses bras dès les élèves sortis, comme s'ils ne s'étaient vus encore le matin même.

Depuis trois ans qu'il avait quitté l'école et opté pour un poste de remplaçant, c'était la première fois qu'il intervenait ici, alors forcément, c'était une belle surprise.

Pourtant, elle a vite déchanté.

A treize heures, Madame Barbaroux, l'inspectrice les a convoqués, Colin et lui, pour un entretien téléphonique, et a officiellement demandé à Samuel de prendre en charge le CE2 d'Anne-Marie le temps de son arrêt, bien consciente que celui-ci risquait de se poursuivre jusqu'à la fin de l'année.

Samuel a bien tenté de biaiser, il avait commencé en maternelle, il ne souhaitait pas travailler dans la même école que son épouse, mais l'inspectrice a lourdement insisté. D'après le compte-rendu de la psychologue scolaire, la petite Beverly a besoin d'une figure paternelle, et elle espère que son agressivité se calmera avec un maître qui saura la cadrer avec gentillesse et fermeté, tout à fait vous, monsieur Louis.

Passée la joie de partager quelques mois de travail avec son mari, Milla voit le revers de la médaille, un revers qui s'appelle Beverly. Et Milla n'a pas du tout envie que son mari finisse dans le même état qu'Anne-Marie.

— Tu m'as dit toi-même que ta collègue était un poil dépressive, argumente-t-il le soir, une fois leurs filles couchées, quand Milla revient à la charge.

— Oui... mais cette gosse, c'est une plaie ! Franchement Sam, tu ne te rends pas compte.

— Je sais, tu me l'as raconté, mais quand même, elle n'a que huit ans ! Et puis, aujourd'hui, ça s'est plutôt bien passé, elle n'a pas bougé, ni ouvert la bouche.

— Parce qu'elle est en phase d'observation. Mais ça dépasse tout ce que tu peux imaginer. Elle tabasse les autres, lance des objets à travers la classe, hurle pendant des heures sans s'arrêter...

— De toute façon, c'est trop tard, j'ai déjà accepté. Allez mon amour, je suis sûr que ça va aller. Et puis, si ce se trouve, Anne-Marie va reprendre rapidement.

— Hum, grogne Milla, pas convaincue. Ça m'étonnerait !

— Ça nous rappellera le bon vieux temps, quand on travaillait ensemble avant d'être mariés. Et on pourra faire les trajets dans la même voiture, imagine les économies d'essence !

— Je te ressortirai ces arguments quand cette gamine t'aura broyé, on verra si ça te console. En plus de te répéter « je te l'avais bien dit », évidemment.

— Je n'en doute pas, conclut Sam en riant, face à la moue boudeuse de sa femme qu'il aime tant.

L'arrivée de Samuel a été un vrai bienfait pour toute l'équipe, un coup de fouet en ce moment de l'année où l'hiver dure trop, la pluie peuple les journées, où tout le monde est fatigué. L'enseignant est la coqueluche de toutes les femmes ici, en particulier de Patricia et Laurence, ainsi que de Sandra qui passe son temps à lui faire les yeux doux, même si Milla veille jalousement sur son mari. C'est un collègue très agréable, et Ana a du mal à croire son amie qui lui a confié qu'il n'était pas du tout comme ça quand elle l'a rencontré, mais plutôt introverti, raide, taiseux, alors qu'aujourd'hui Samuel est un homme dynamique, toujours de bonne humeur quoique discret. Et puis surtout, c'est un autre homme dans une atmosphère très féminine et un réel atout pour Colin dont il a tout de suite approuvé les idées.

Ana s'est naturellement mise un peu en retrait, et observe ce début d'amitié entre les deux hommes, la complicité naissante, sans jalousie, presque avec soulagement. Elle sait qu'elle doit prendre du recul, l'arrivée d'un autre homme dans l'équipe lui semble être une bonne occasion.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant