Chapitre 38

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Colin avait un peu redouté les vacances, cette inactivité soudaine après des semaines si denses, si riches, si épuisantes. Il passe de plus en plus de temps en classe avec ses collègues, les quatre séances hebdomadaires de décloisonnement lecture déjà, parfois davantage, de manière sporadique, pour les aider à prendre en charge tel ou tel groupe. A compter de la rentrée, début novembre, il a décidé de se libérer des plages  pour les dédier pleinement aux enseignants. Ateliers jeux de société en maternelle, informatique, art plastique ou bibliothèque en élémentaire, il veut être là pour son équipe, physiquement là. Il lui restera une heure par jour environ, pour les rendez-vous avec les parents, la hiérarchie ou la mairie, ainsi que les tâches administratives qui ne peuvent pas attendre, et s'occupera de tout le reste le soir, après la classe, dans son bureau ou chez lui. De toute façon, hormis l'aide aux devoirs le lundi et le jeudi soir, il n'a rien de plus intéressant à faire de ses soirées, autant que cela serve aux collègues et aux élèves.

Le samedi, premier jour des vacances, Camille est passée comme promis. Ils ont bu un verre sur son canapé neuf avant d'aller déjeuner en ville, et, de passer à la librairie de Louise et Thomas, lieu pour lequel Camille avait eu un véritable coup de foudre. Colin en avait profité pour récupérer quelques bouquins et des affaires qu'il devait rapporter au jeune couple en exil.

Le dimanche avait été consacré à sa famille, déjeuner chez Jacques et Anouk, avec mamie Jo, mais sans sa sœur. Le temps lui avait paru long, si long. Assis sur le canapé, à côté de sa grand-mère somnolente, il regardait d'un œil vide l'écran de télévision qui diffusait la traditionnelle émission de la seconde chaîne. Quand sa mère avait surpris son regard se perdre au-delà de la maison, dans le paysage désolant du jardin d'automne trempé de pluie, elle avait proposé, d'une voix suraigüe :

— Et si on faisait un trivial poursuit ? Ça vous dit ?

L'espace d'un instant, Colin s'était demandé ce qu'il y avait de plus triste : l'enthousiasme feint de sa mère, être coincé ici un dimanche après-midi, l'impression de subir sa propre famille, ou simplement de ne pas avoir d'autre projet que celui-là pour la journée. Il se souvenait des dimanches après-midi avec Sandrine et Salomé, quand ce n'était pas Drucker à la télé, mais des dessins animés qu'ils regardaient ensemble sous la couette, quand ce n'était pas des parties mortelles d'ennui de Trivial Poursuit, mais l'un des jeux de société de la petites, et c'est leurs fou-rire qui étaient interminables. Parfois, ils faisaient de longues balades en forêt, de la pâtisserie à six mains, ou des ateliers de loisirs créatifs qui leur laissaient des paillettes dans la maison tout le mois suivant. Passer de ces moments de bonheur intenses au désœuvrement absolu de ces mornes après-midi dominicales, c'est bien une sentence à la hauteur de sa faute.

Le lundi, il passe à l'école mettre un peu d'ordre dans son bureau, puis, de retour chez lui, prépare sa petite valise, surtout remplie avec ce qu'il doit apporter à Louise et Thomas. Il fait un brin de ménage, parce qu'il faut bien de temps en temps, et tente de se coucher tôt, mais passe a moitié de la nuit à fixer le plafond, impatient, excité et anxieux à la fois.

Le lendemain matin, il ne traîne pas. Son vol n'est qu'en milieu d'après-midi mais pour économiser le coût du parking, très onéreux à l'aéroport de Luxembourg, il a réservé une navette qui vient le prendre à huit heures.

Il passe le reste de la journée errer et à bouquiner dans le hall. Le prix des sandwiches proposés le dissuade de déjeuner, non pas qu'il ait faim, mais l'ennui est tel qu'il aurait bien payé neuf euros juste pour passer quinze minutes à mâchonner un jambon-beurre. Il se contente d'un café et du spéculos qui l'accompagne, il se rattrapera à l'arrivée.

Enfin, il embarque à quinze heures. C'est un tout petit avion d'Alitalia, deux rangées de sièges d'un côté, une seule de l'autre, même pas plein malgré les vacances scolaires. A croire que ça n'intéresse pas les expatriés de rentrer au pays en octobre. Chanceux, il se retrouve avec une place seule, côté hublot et côté couloir à la fois, le grand luxe. Quand l'avion décolle un peu plus tard, c'est tout naturellement qu'il laisse le sommeil le happer.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant