Chapitre 10

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Jérôme et Vanessa défient tous les stéréotypes. C'est d'ailleurs un sujet de blagues récurrent dans les dîners entre copains. C'était déjà le cas quand ils se sont rencontrés, lors d'une soirée d'amis communs. Même sans talons, elle dépassait d'une bonne tête le mètre soixante-trois du jeune brun. Mais son humour légendaire avait fonctionné, encore mieux que d'habitude, et ils avaient fini par quitter la fête pour aller terminer tranquillement leur conversation dans un bar du quartier, bien plus calme, et surtout sans les potes de Jérôme qui le surveillaient en mimant des « bien joué » accompagnés de pouces levés, incrédule de voir leur copain emballer la belle métisse.

Cinq ans plus tard, Nathan, leur premier enfant arrivait par surprise, alors que sa maman venait de décrocher haut brillamment son DSN, son diplôme supérieur de notariat. Puis, quatre ans après, c'est Pauline qui pointait le bout de son nez. Vanessa venait d'obtenir sa certification en droit de l'urbanisme et de l'environnement, et avait

été recrutée dans une grosse étude de la ville, où elle touchait un salaire plus que confortable, mais ne comptait pas ses heures, heureusement que Jérôme était là pour s'occuper des enfants. Il avait scolarisé Nathan avec lui, s'arrangeait pour que Pauline ne reste pas trop tard chez la nounou le soir. Après la naissance de Sofia il y a cinq ans, après y avoir mûrement réfléchi, c'est lui qui avait pris un congé parental, pour que Vanessa n'ait pas à freiner sa carrière. Ça avait fait grincer des dents, celles de sa mère déjà, et Vanessa avait eu des acouphènes pendant des mois. Ce n'est pas à l'homme de s'arrêter de travailler, une femme qui fait passer le travail avant ses enfants c'est scandaleux, une bonne mère est là chaque soir pour préparer le dîner et coucher les petits. Mais Jérôme savait que l'épanouissement de son épouse était au sein de son entreprise, et ça ne changeait rien à l'amour qu'elle portait à ses enfants et à son mari. Il observait, circonspect, sa mère, quelques membres de la famille, certains amis, vomir leurs règles de bienséance éculées, leurs commentaires passablement misogynes, comme s'ils étaient concernés. Alors que lui, ça lui convenait bien. Chez eux, la femme est plus grande, elle travaille plus, gagne davantage d'argent. C'est Jérôme qui fait les devoirs et les courses, achète les cadeaux d'anniversaires des camarades, emmène les enfants chez le dentiste. Leurs proches avaient fini par s'y faire. Vanessa veille juste à porter des ballerines quand ils se promènent tous les deux.

Après son congé parental, Jérôme avait obtenu un poste à l'école Prévert. Il remplacerait Brigitte au CP, qui, à présent complètement déchargée à cause de la fusion des écoles maternelles et élémentaires, devait abandonner sa classe et l'enseignement. D'habitude, les hommes préfèrent les grandes classes, CM1 ou CM2, où on n'a pas besoin de faire des lacets ou de changer des pantalons souillés. Mais là encore, Jérôme évitait les clichés. Il avait l'habitude de s'occuper des jeunes enfants, moucher les morveux ça ne lui fait pas peur, et au moins, il n'aurait pas d'élèves plus grands que lui, comme il le soulignait avec humour.

Au final, ça lui avait bien plu. Il avait de bons rapports avec Émilie, en charge de l'autre classe de CP, et dont il appréciait la douceur et la rigueur, et puis il devait avouer que c'était pas le niveau qui demandait le plus de travail. Une fois l'habitude prise et de bonnes méthodes en main, les enseignements étaient ritualisés, la classe se préparait vite et il ne croulait pas sous les corrections, ça aussi ça lui convenait bien. Il n'avait pas que ça à faire, maintenant que Nathan entrait en sixième.

Le nouveau directeur lui avait fait un bon effet. Bon, en fait, pas vraiment, il avait à peine ouvert la bouche, mais c'était un homme de plus dans l'école, un jeune, et il avait l'air sympa. C'est déjà pas si mal.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant