Chapitre 32

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Patricia a rencontré son premier mari en terminale G. Ils s'étaient fréquentés un an avant de se marier, mais pour elle, plus que de l'amour, c'était surtout le moyen de quitter la maison où elle avait grandi, le joug parental qui l'oppressait. Mauvais choix. Elle abandonnait un père tyrannique pour un homme qui ne l'était pas moins. Elle avait tenu sept ans, deux enfants, et un certain nombre de scènes de ménage avant de se sauver, ses deux gamins, Jean-Christophe et Sophie, sous le bras.

Deux ans plus tard, alors qu'elle signait les papiers du divorce, elle acceptait d'aller dîner avec son avocat, un bel homme lui aussi séparé de la mère de ses enfants. Il s'était rapidement installé chez elle, sur son canapé précisément, télécommande en main, épuisé par ses journées, alors que bon, t'es instit toi, Pat, tu sais pas ce que c'est de bosser soixante heures par semaine. Certes, se disait Patricia, mais finalement si je cumule mon boulot et les tâches ménagères, je suis à bien plus. Mais elle ne disait rien, à la moindre réflexion, il partait dans des heures de bouderies, et il lui arrivait de s'en aller des jours entiers, même lorsque c'était son week-end de garde des enfants. Patricia s'occupait alors seule des quatre petits. Il avait fini par la partir, presque du jour au lendemain, comme s'il avait finalement changé d'avis. Meurtrie, abandonnée, Patricia était restée seule presque dix ans, puis les enfants avaient quitté la maison aussi. C'est à ce moment que pour la première fois de sa vie, Patricia était tombée amoureuse. Vraiment amoureuse. Juan était espagnol, elle l'avait engagé pour l'aider à faire quelques travaux dans le petit appartement qu'elle avait acheté après le départ de Jean-Christophe et Sophie. C'était un artiste, écrivain sans inspiration, peintre du dimanche, A quarante-cinq ans, il vivait encore de petits boulots en attendant de trouver sa voie. Mais il travaillait dur pour payer sa part du ménage, ne pas se laisser entretenir par Patricia, il partageait avec elle les tâches ménagères et l'entourait d'un amour comme elle n'en avait jamais connu. Il l'avait demandé en mariage de la manière la plus romantique possible, un genou à terre, sur les pétales de roses dispersés dans la pièce illuminée de bougies, et Patricia s'était dit qu'à l'âge où elle s'apprêtait à devenir grand-mère, elle avait enfin droit au bonheur. Et ils avaient été heureux. Très heureux. Le problème quand on monte très haut, c'est qu'on tombe de la même hauteur. Alors, quand elle a appris que Juan avait une liaison depuis plusieurs mois, Patricia ne l'avait pas très bien pris. Elle l'avait sommé de rompre avec cette femme, prête à passer l'éponge pour sauver son mariage.

— Je ne peux pas, je l'aime, avait larmoyé l'Espagnol.

— Donc... tu me quittes ? avait murmuré Patricia, le cœur brisé.

— Non ! avait-il crié, scandalisé. Je t'aime aussi, enfin !

— Mais alors... on fait quoi ?

Pendant un an, Patricia avait supporté les nuits à mi-temps, un week-end sur deux, pleurant chaque nuit où elle était seule dans son lit, mentant à son entourage, tant elle se sentait honteuse, salie d'accepter l'inacceptable. Et un jour, Juan avait fait une plus grosse valise, lui avait expliqué qu'il ne reviendrait plus.

— Christiane ne supporte plus la situation, avait-il murmuré en guise d'explication, et Patricia l'avait regardé, estomaqué, franchir pour la dernière fois la porte du domicile conjugal. Elle s'est longtemps demandé si, si elle avait posé l'ultimatum la première, c'est l'autre qu'il aurait quittée. Elle ne lui a jamais demandé. Elle préfère ne pas savoir.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant