Chapitre 84

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Ça a été vraiment dur à encaisser.

A côté, l'appel de Xavier qui lui annonçait la grossesse de Clara, c'était une partie de plaisir. Quelque part, ça ne la concernait pas directement, alors que cette prise de conscience remettait tout son avenir, tous ses espoirs en question.

Et pourtant, Ana n'a pas cédé. Ça n'a pas été évident, la bouteille l'appelait, ça aurait été si simple de descendre dans le premier bar venu, de s'offrir un verre de chardonnay, s'évader dans les brumes cotonneuses que procure l'alcool. Mais elle a résisté. Grâce à Nat, surtout, elle en est consciente, mais elle a résisté quand même, et Patrice, le modérateur du groupe de parole l'a bien dit : chaque victoire est la vôtre, et il faut en être fier.

L'échéance du diagnostic approche aussi. L'IRM est prévue le mercredi, en début d'après-midi, et le rendez-vous chez le neurologue le lendemain, le jeudi en fin de journée. Ça l'angoisse énormément. Déjà, elle aurait préféré savoir tout de suite, et surtout, elle appréhende la réaction de Colin, encore plus imprévisible puisqu'elle ne sait pas vraiment ce qui sera une bonne nouvelle. Et la sienne aussi, de réaction. Si le médecin lui annonce qu'il ne lui reste que quelques mois, quelques semaines, comment restera-t-elle debout ? Quel soutien sera-t-elle si elle n'est pas capable, elle, d'accepter la sentence ?

Là encore, Natacha est un appui solide. Ana ne lui a pas rapporté sa conversation avec Julie, et l'adolescente, tout à sa joie de faire à dîner pour sa mère et son petit copain n'a pas perçu le désespoir dans les yeux de sa maman. Mais elle sait pour l'IRM, et entoure Ana d'attentions et de mots tendres. Et ça fait un bien fou à Ana de pouvoir se reposer sur quelqu'un, de sentir que l'on veille sur elle.

Voir Colin en arrivant à l'école le lundi lui provoque un vrai coup au cœur. Comme revoir un amant pour la première fois après une rupture. En un sens, c'est un peu ça. Elle l'aperçoit, de loin, en salle des maîtres, occupé à noter différentes infos sur le tableau blanc. Il est beau. Mal rasé, dans un jean et un pull fin gris. Ses sourcils sont froncés, il réfléchit à ce qu'il doit écrire. Avec le marqueur, il tapote sur sa lèvre. Elle hésite un instant à entrer, elle doit mettre son repas au frigo, mais il est seul dans la pièce, et elle sait ce que cela signifie. Trop longue hésitation. Avant qu'elle n'ait pu tourner les talons, il repose le feutre et lève les yeux, la voit et lui sourit, un sourire tendre qui lui fend un peu le cœur. L'anthracite du pull fait ressortir le gris de ses yeux. Ces yeux qui lui font perdre la tête, auxquels elle ne peut rien refuser.

— Bonjour Ana.

— Bonjour Colin.

Elle s'avance bravement vers lui, même pas peur, même pas mal, enfin, c'est ce qu'elle se dit pour se persuader, jusqu'à ce qu'il l'attrape par la taille pour l'embrasser sur la joue. Son parfum, la chaleur de son corps, sa main sur sa hanche, autant de futurs renoncements qui la blessent au plus profond d'elle, mais Ana reste stoïque. Elle se détache de lui doucement, avec un sourire de façade, et l'arrivée de Maryam offre heureusement une diversion nécessaire. Elle place son repas au frais, et s'échappe vite vers sa salle.

Toute la journée, elle s'efforce de ne pas faire varier ses habitudes, pour qu'il ne sache pas, pour qu'il ne se doute de rien, pour ne pas provoquer cette discussion qu'elle n'est pas prête à avoir, surtout pas maintenant, avec ces rendez-vous médicaux qui arrivent. Et ça marche, elle est bonne comédienne, et elle a des années d'entraînement derrière elle. Enfin, ça marche avec les autres, mais Colin a le nez fin, et surtout, surtout, il lit en elle comme dans un livre ouvert, il sait comment elle fonctionne. Il sent le loup.

Il se résout à lui en parler quand elle lui dit au revoir le mardi soir, en passant la tête par la porte de son bureau.

— Salut Colin, j'y vais, à demain, donc... 9h30 devant le cabinet ?

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant