Chapitre 12

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Natacha fait partie de ces enfants heureux d'avoir des parents divorcés. Pourtant, elle n'a jamais dû affronter les terribles crises conjugales, même quand ça n'allait plus, ses parents ne se disputaient jamais devant elle. Elle ne sait même pas s'ils se disputaient parfois, en fait. Avec le recul, elle pense qu'ils se sont aimés mollement, tièdement, et qu'un jour, la flamme vacillante s'est complètement éteinte, c'est tout. Il y a eu « le drame » aussi, ça a dû jouer. Elle ne s'en souvient pas vraiment, elle était trop jeune, et on l'a gardée à l'écart de tout ça, mais à la manière dont sa grand-mère prononce cet euphémisme en chuchotant, jamais les faits, ni à haute voix comme si de murmurer ce mot le rendait moins grave, alors qu'en fait, c'est tout le contraire, en faire un tabou empêche de digérer les évènements. C'est vrai que ses parents n'ont plus jamais été les mêmes après cette histoire, et c'est probablement ça qui a enclenché le processus de séparation. Peu importe, Natacha aime sa vie comme ça. L'annonce n'a pas été facile, elle a un peu pleuré quand même, et puis il y a eu les premières soirées à deux au lieu de trois, les premières vacances, le premier Noël, assez déprimant. L'appartement vide de son père, où elle a eu du mal à prendre ses marques au début. Le regard de chien battu de Mme Bredat, sa maîtresse de l'époque, comme si elle était la première à qui ça arrivait, comme si c'était la fin du monde. Enfin quoi, il y a des choses plus graves ! Son père est beaucoup plus cool depuis qu'il vit seul. Comme ils ne se voient que cinq jours toutes les deux semaines, ils profitent de ce temps ensemble, bien plus qu'avant finalement. Narcissique comme tous les ados, elle aime bien être au centre de son attention quand elle est chez lui. Il l'emmène au collège dans sa grosse berline, ils vont au ciné, au resto, car il ne sait pas cuisiner, et depuis qu'il a développé ce logiciel informatique et qu'il gagne beaucoup d'argent, il la gâte vraiment, sans pour autant satisfaire ses moindres caprices, et ça lui va bien, elle n'aurait plus eu de respect pour lui sinon. Sérieux, elle veut un père, pas une serpillère. Et puis, elle sait qu'il a fini de payer l'appartement qu'Ana et lui avaient acheté il y a dix ans, mais qu'il la laisse vivre dedans sans réclamer de loyer, pour que sa fille et son ex-femme n'aient pas à déménager, changer leurs habitudes, qu'elles continuent à habiter dans un endroit confortable. Avec son seul salaire, même avec la pension alimentaire, Ana ne pourrait jamais se payer un tel appartement. C'est un type bien, son père. Il est plus heureux sans Ana, c'est triste mais c'est comme ça.

Elle aime bien ce que sont devenus ses parents. Sa mère a repris la danse contemporaine, elle s'entraîne parfois à la maison, et même si elle ne dit rien, par pudeur, Natacha adore la voir danser, regarder son corps souple se mouvoir, tout en courbes et en grâce. Elle sait qu'elle sort pas mal aussi quand elle est chez son père. Ana est discrète, mais Nat n'est pas née de la dernière pluie. Elle aimerait bien que sa mère se trouve un homme. Sa copine Carla avait été furieuse quand ses parents séparés avaient chacun retrouvé quelqu'un. Un beau-père, une belle mère, c'est comme tes parents, mais en pire ! geignait-elle. Natacha ne croit pas. Elle voudrait voir sa mère heureuse, et son père plus épanoui, même si elle doit les partager à nouveau, perdre la relation duelle qu'elle entretient avec chacun d'eux et qu'elle aime tant. C'est sans doute ça l'amour, mais bon, pas question de le leur dire, faut pas déconner.

***

—  Mamaaaaan ! Je suis là !

Ana pose le linge mouillé dans la bassine, et se redresse pour aller accueillir sa fille qui déboule telle une tornade après son mid-week, comme elle dit, chez son père.

—  Coucou ma chérie, fait-elle en l'embrassant. Alors, ça y est, officiellement en vacances ?

—  Yeah ! Je suis trop contente ! Et toi ? Ça s'est bien passé le dernier jour ? Pas trop triste de te quitter tes monster munch ?

—   Ça a été.

Nat fonce déposer ses affaires dans sa chambre et rallumer son mac qu'elle trimballe toujours avec elle. Ana se tourne alors vers Xavier qui patiente sur le seuil.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant