Ana est une femme que l'on a envie de voir heureuse.
En sera-t-il capable ?
Ce soir, il n'a pas pensé à Sandrine, ou si peu. Ce soir, il n'y avait qu'Ana et l'intensité troublante de son regard, cette façon bouleversante de se mettre à nu devant lui, surtout elle, constamment sur ses gardes, qui s'est livrée sans gêne, pudeur ni retenue, et c'est finalement la plus belle déclaration qu'on lui ait faite.
Colin éprouve un étrange sentiment, très ambigu, tiraillé entre le soulagement de l'oubli et la trouille de laisser, une nouvelle fois, partir sa femme.
Peut-être qu'il finit par faire son deuil. Le temps amenuise le chagrin, aussi immense qu'il ait pu être. Au fil des mois, il songe de moins en moins à Sandrine, il accepte l'idée qu'elle n'est plus. Ce n'est pas le cas pour Salomé. Il a toujours moins pensé à elle, non pas que son amour pour sa fille fût moins puissant que celui pour sa femme, au contraire. Simplement à cause de la fulgurante souffrance que lui provoque la moindre évocation de la petite. Son souvenir est devenu une incessante douleur, qui le poignarde encore et encore quand il se remémore son rire en cascade, l'odeur de son petit corps chaud quand il venait l'embrasser avant de se coucher et qu'elle dormait depuis longtemps, ses câlins lorsqu'elle s'écriait « Tu es mon meilleur papa », comme si elle en avait d'autres. On ne se remet jamais de la mort d'un enfant. Jamais.
Les larmes lui montent aux yeux. Après une telle soirée, il n'arrive plus à contrôler son émotion.
S'il parvient à guérir de sa tumeur, s'il ne meurt pas, que pourra-t-il espérer ? Retrouver une forme d'apaisement dans les bras d'Ana, un semblant de vie normale ? Mais comment être à nouveau heureux ? Saura-t-il la combler si la part de lui qui est morte avec sa famille lors d'une froide fin d'après-midi de novembre ne se réveille jamais ?
Et cette histoire de tumeur... si on y réfléchit bien, il y a trois solutions. Soit c'est cuit, comme il se l'imagine depuis si longtemps, et il va mourir. Fini. Plus de souffrance, de peine, d'efforts pour rester debout alors qu'il a la sensation que tout son être a été pulvérisé. Ce sera peut-être un peu dur pour Ana. Mais elle s'en remettra, elle l'a dit, elle est forte. Peut-être pas autant qu'elle l'affirme, mais elle n'aura pas le choix, une fois de plus, et elle l'oubliera. Si la tumeur est bénigne... peu importe, ce n'est pas possible, pas après tout ce temps, et il ne sait trop ce qu'il aurait à faire dans ce cas-là. Si elle est maligne, avec une chance de s'en sortir, quelle serait sa décision ? Se battre pour rester en vie, alors qu'il attend son trépas depuis trois ans ? Subir une chimiothérapie et tous ses effets désastreux pour espérer gagner quelques années, peut-être guérir ? Et pendant ce temps, quelle sera la place d'Ana ? A ses côtés, pour l'aider dans son combat contre le cancer ? C'est trop lui demander.
Et dire qu'il pensait que sa vie était compliquée... Finalement, il y a vingt-quatre heures, tout était beaucoup plus simple. Lui qui avait envie de grands changements, il va être servi.
Colin passe la moitié de la nuit à ressasser ses angoisses, et vers quatre heures, finit par repousser la couverture. Il va se faire un café et lire un peu, en attendant l'aube, sa seule certitude. Le jour finit toujours par arriver.
***
Dur de trouver le sommeil.
Colin lui a mis l'eau à la bouche, par ses mots et par ses gestes, elle n'est pas rassasiée. Elle attendra, comme promis, le temps qu'il faut, parce qu'elle n'a pas d'autre choix. Mais ce soir, elle crève d'envie de sentir ses lèvres posées sur les siennes, sa langue dans sa bouche, son ventre contre son dos, son souffle brûlant dans son cou, sa paume sur ses seins ou sur ses cuisses. Même sans faire l'amour. Elle a tellement besoin de tendresse, de douceur, tellement envie que ce soit lui qui lui concède ces marques d'attachement. Mais elle sait aussi que ce soir, ils n'auraient pas été capables de dormir dans le même lit sans qu'il ne se passe rien, ce stade-là est dépassé depuis longtemps.
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Colin Maillard et chat perché
Romance"C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les...