Chapitre 13

224 41 68
                                    


L'hôpital avait rangé dans un petit carton de pansements toutes les affaires que Sandrine portait le jour de l'accident. De Salomé, il ne subsistait rien. Les vêtements et chaussures avaient été déchirés, arrachés, tâchés de sang, jetés, mais il restait le sac à main et les bijoux de sa femme. Hugo avait tout récupéré le jour où il était allé chercher Colin pour le ramener chez lui. Son ami l'attendait dans le fauteuil de la chambre, stoïque, le regard vide. Il s'était levé à son arrivée, et ils avaient marché en silence dans les couloirs de l'hôpital, s'étaient installés dans l'A4 d'Hugo, qui avait roulé jusqu'à l'appartement de la rue Clemenceau. C'est lui qui avait ouvert, avec le double de clés qu'il gardait et Colin l'avait précédé dans l'appartement qui respirait encore la vie, mais qui n'entendrait plus jamais le bruit des pieds nus de Salomé galopant sur le parquet, les soupirs de Sandrine au creux du lit, leur rire à tous les trois. Colin avait déambulé dans toutes les pièces, s'arrêtant sur le seuil des chambres. Quatre jours avant l'accident, Sandrine lui avait annoncé que le test était positif. Elle était enceinte, enfin. C'était le tout début, cinq semaines. Ils étaient les seuls à le savoir. Il était le seul à savoir qu'il avait, en fait, perdu trois membres de sa famille. Hugo était resté en retrait, n'osant prononcer un mot, puis, quand Colin s'était effondré sur le fauteuil du salon, il s'était accroupi auprès de lui.

— Tu veux que je reste un peu ?

Colin n'avait pas répondu, juste détourné le regard et Hugo avait baissé les yeux.

— J'y vais alors. Colin... je... si tu as besoin de moi, à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, je serai là. Appelle-moi. S'il te plaît. Je repasse demain.

Puis il avait avisé la boîte posée dans l'entrée.

— Je... je te laisse ça là, avait-il murmuré, incapable d'expliquer ce qui se trouvait à l'intérieur.

Colin n'avait sorti les objets du petit carton que la veille de son départ en Afrique. Dans une petite pochette de plastique transparent se trouvaient les boucles d'oreilles de Sandrine, de petits pendants en forme de feuilles dorées, la montre qu'il lui avait offerte à Noël il y a deux ans, un bracelet. Et son alliance. Un simple anneau d'or, avec, gravé à l'intérieur Colin, 21-07-2007. Il l'avait glissée dans son portefeuille, pour la garder toujours sur lui. Il avait ensuite ouvert délicatement le sac à main de cuir marron, avec l'impression d'enfreindre un tabou. On n'ouvre pas les sacs des femmes. Mais quand elles sont mortes, on peut, non ?

Il y avait une pochette avec ses papiers : carte d'identité et passeport, permis de conduire avec l'attestation d'assurance et la carte grise de la voiture. Il avait regardé les photos. Même là, sur ces morceaux de pastique terne, il la trouvait lumineuse. Un porte-cartes, avec carte vitale et tout un tas de programmes de fidélité dans ses boutiques favorites. Le porte-monnaie que lui avait offert Salomé pour son anniversaire, ils l'avaient acheté ensemble, plein de piécettes et un billet de dix euros coincé entre les tickets de caisse pliés. Des bonbons à la menthe. Un paquet de mouchoirs en papier. Une petite boîte vide d'anis de Flavigny où elle laissait quelques cachets pour la tête et des pansements. Les clefs de maison, avec le porte-clefs en forme de cœur que Salomé avait réalisé à l'école, et la clef unique de sa Fiat 500. Un tube de rouge à lèvres. Un stylo qui brille. Son téléphone, éteint. Et son carnet. Colin avait tout remis dans le sac. Il l'avait rangé dans le carton sur lequel il avait écrit au marqueur : A CONSERVER.

Tout, sauf le calepin qu'il avait gardé.

Contre la seconde de couverture, plusieurs photos tenaient ensemble, liées par un trombone. Colin les connaissait, mais il avait besoin de les revoir. De se rappeler qu'où aille Sandrine, ils étaient avec elle. Il y avait un cliché de leur mariage et la première photo à trois, le jour de la naissance de Salomé. Un photomaton de la petite, réalisé spécialement pour son entrée en maternelle, et une image de Colin, il ne se souvenait plus à quelle occasion avait été prise la photo. Et enfin une autre d'eux trois, souriants, à une fête de famille. Il avait tourné les pages, humé le papier mais il n'avait pas le parfum de Sandrine, il ne sentait que les souvenirs. Sur chaque page ou presque, elle avait collé les post-it qu'il lui laissait partout dans la maison quand ils ne se croisaient pas, ceux qu'elle trouvait à l'aube en partant pour une garde, où l'après-midi en rentrant de l'hôpital, sur son oreiller quand elle se couchait après une nuit blanche. Des mots d'amour, de tendresse, du quotidien, des mots coquins parfois, qu'il avait fallu planquer quand leur fille avait appris à lire. Colin avait caressé ces petits carrés de papier coloré. Il n'utiliserait plus jamais de post-it.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant