Chapitre 56

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Le jardin est trempé. Le mistral souffle, faisant se plier les branches des arbres, la pluie s'abat avec fracas sur les carreaux. Les bras croisés dans le dos, Thierry observe avec désolation son beau jardin à la merci du temps d'hiver. Ana pense à la poésie d'Ann Rocard qu'elle propose souvent à ses élèves à cette période de l'année.

Dans ma maison, bien au chaud

Je vois le jour qui s'enfuit,

Et les étoiles là-haut

Qui s'allument dans la nuit.

J'entends le vent qui s'élance

Entre les tuiles du toit,

Et les grands arbres qui dansent

A la lisière du bois.

Chez moi je suis à l'abri

Je bois un bon lait bouillant,

Je n'ai pas peur de la pluie

De l'hiver et du grand vent.

—Il n'y a plus de saison, grommelle son père en se détournant du triste spectacle.

—C'est pourtant bien un temps d'hiver, non ? réplique Andres en remontant de la cave avec deux packs d'eau.

—Tu parles. Ce matin, il faisait onze degrés. Et le week-end dernier, j'ai vu des pâquerettes. Des pâquerettes ! En décembre !

Personne ne relance Thierry là-dessus, le réchauffement climatique ne semble pas passionner le reste de sa famille, tous affairés aux préparatifs du repas de fête. Amalia réalise la crème qui garnira la bûche du dessert, Ana prépare la farce du chapon de demain midi, Natacha, Antonia et Sébastien s'occupent des feuilletés apéritif, Andres est en charge des boissons, et Laure, sa femme, taille des crudités avec Marceau, Paul et Lucie, les enfants, dans la bonne humeur ambiante. Lui, la cuisine, c'est pas trop son truc, alors il va s'installer seul au salon avec une revue.

Amalia fiche tout le monde dehors en fin d'après-midi, pour ranger et nettoyer tranquillement sa cuisine.

—Allez-vous amuser ou vous faire beau. Rendez-vous à dix-neuf heures au salon pour l'apéritif.

Natacha fonce s'enfermer dans sa chambre pour téléphoner à Lucas, Laure va baigner et préparer les petits tandis qu'Andres propose une partie de trivial poursuit à ses sœurs et à son beau-frère. Sébastien et Antonia acceptent avec enthousiasme mais Ana, peu adepte des jeux de société, décline et s'installe avec son livre dans le fauteuil près de son père.

Elle parcourt quelques pages, mais rapidement, ses pensées dévient et elle laisse son regard se perdre dans le jardin. Elle passe machinalement son index sur ses lèvres incomplètes, celles qui auraient dû recevoir le baiser de Colin. Face à lui, elle a réagi avec légèreté, ce n'était rien du tout, une demi seconde d'égarement, non, même pas, juste un bisou mal cadré, rien de plus voyons, mais en réalité, d'avoir touché ce possible du bout du doigt, et qu'il lui ait échappé à la seconde suivante, c'est un nouveau coup dur. Elle sait définitivement à quoi s'en tenir, elle doit garder la tête froide, mais les sensations de cet instant reviennent l'assaillir en permanence. La douceur de sa joue contre le sienne, la proximité de ses lèvres, sa chaleur, son odeur... Elle ne peut plus faire semblant. Elle continuera pourtant, à jouer la bonne amie, l'assistante, la confidente. Mais la vérité, c'est qu'elle est amoureuse de lui. 

***

Il en a eu envie, terriblement envie à cet instant. L'embrasser.  Rechercher l'affection, la tendresse, la douceur, jusque dans sa bouche, sur sa langue. Conjuguer leur solitude pour les faire exploser. Se sentir à nouveau vivant. Taire son malheur dans la chaleur de ses bras. Oublier le passé et faire vivre le présent contre son corps. Et ensuite, quel futur ?

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant