Chapitre 48

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Ana a mal dormi. Dur de se laisser emporter dans les bras de Morphée tout en sachant qu'à quelques kilomètres d'ici, deux frères s'endormaient sans baiser d'un parent, sans câlin, sans repère.

— C'est tout le contraire ! a martelé Colin, au cours de la réunion du midi. Ce ne sont pas des gosses que l'on vient embrasser avant de dormir, à qui on souhaite bonne nuit après l'histoire.  Je sais que c'est dur de les imaginer en foyer, mais la seule chose que ça change probablement pour eux, c'est qu'ils sont en sécurité. Ils ont eu un repas chaud, un lit confortable... je sais que la mesure d'éloignement peut paraître extrême, mais c'est mille fois moins pire que les privations et les humiliations que ces enfants ont subies.

— Tu crois qu'ils pourraient être placés chez un membre de la famille ? a demandé Josette, aussi abattue que ses collègues.

— Je ne sais pas. C'est le juge qui décidera. J'imagine que les grands-parents, oncle et tantes, etc. seront entendus et que selon les circonstances, ce sera peut-être le cas. C'est la première fois que j'ai affaire à ce genre de drame.

— Que doit-on dire aux élèves qui vont nous poser des questions sur leur absence ? a demandé à nouveau l'enseignante de maternelle.

Colin a jeté un coup d'œil à la chaise vide de Sandra, l'irritation se laissant percevoir dans son iris bleu-gris.

— Rien pour le moment. On élude, on ment. Malade, on ne sait pas, comme vous voulez. Dans quinze jours, quand le juge aura statué, on avisera. Si le placement est confirmé, on pourra en parler aux enfants. Mais quoiqu'il en soit, il faut faire de la prévention dans nos classes. Si les élèves de la classe de Sandra font le rapprochement, il faudra leur dire la vérité.

Dès la fin de la réunion, Colin s'est enfermé dans son bureau avec la psychologue et l'assistante sociale, et Ana ne l'a pas revu de l'après-midi. Quand elle a toqué à sa porte après la fin des cours, il était déjà parti. C'était la première fois que cela arrivait.

Nat a été une oreille attentive au dîner, quand l'émotion était encore trop présente chez Ana pour qu'elle réussisse à faire comme si de rien n'était. Ça n'a beau pas être ses élèves, elle imagine trop bien le désarroi de ces enfants pour ne pas en être bouleversée. D'ordinaire, ça n'intéresse pas vraiment sa fille, les histoires d'école et d'élèves, mais là, elle a senti que sa mère avait besoin de parler, et pour une fois qu'elle s'ouvrait un tout petit peu, ça aurait été dommage de laisser passer l'occasion.

Alors forcément, Ana n'a pas bien dormi. Elle  repousse de dix minutes le réveil qui sonne à six heures quinze, file sous la douche pendant que la machine à café chauffe, passe réveiller sa fille, et quand elle s'installe pour avaler un café et une tartine vite-fait, elle voit qu'elle a deux appels en absence de Colin.

Elle le rappelle immédiatement et à sa voix, s'aperçoit tout de suite que ça ne va pas. Pas du tout.

— Ana... je ne vais pas... pouvoir venir aujourd'hui.

— Que se passe-t-il Colin, demande-t-elle, alertée par le souffle court, le timbre rauque de son ami.

— Rien de grave... migraine... je... j'ai très mal aux jambes... peux pas me lever.

— Mon Dieu, tu as appelé une ambulance ?

— Non, non... Ana écoute...

— J'arrive, donne-moi ton adresse !

— Non ! Ec... Ecoute-moi, bordel ! J'ai besoin... que tu mènes la réunion à ma place à midi...

— Mais on s'en fout de la réunion !

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant