Chapitre 43

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Il était tombé sous son charme la première fois qu'il l'avait vue. Son rire, ses ondulations, d'un brun chaud, presque noir, qui tombaient en cascade sur ses épaules, ses yeux comme un ciel d'été. Elle riait avec ses amies, elle avait levé les yeux vers lui quand il s'était approché avec leur copain commun, Bertrand.

— Xav, je te présente Ana. Elle est en cours avec Delphine.

Il avait négocié toute la soirée pour réussir à obtenir son numéro, tout en étant persuadé qu'elle le laissait mariner exprès, parce qu'elle ne semblait pas insensible à son humour. Les premiers mois, c'était génial. Une relation légère, pas prise de tête. Jusqu'à cette intoxication alimentaire. Elle avait vomi sa pilule en même temps que le repas. Quand elle lui avait annoncé sa grossesse, catastrophée, six semaines plus tard, il avait été tellement lâche. Mais pas celui qui se barre en courant, oh non, bien pire, le lâche qui n'ose pas faire ça, se barrer en courant. Il avait fait semblant de trouver que c'était pas une mauvaise idée, un bébé avec cette fille qu'il connaissait depuis sept mois. Secrètement, il espérait qu'elle se trompait, que les règles arriveraient, ou qu'elle se rendrait compte de leur folie, même une fausse couche, on ne sait jamais, c'est si vite arrivé. Il n'arrivait pas à croire qu'il s'était laissé embarquer dans cette histoire parce qu'à aucun moment il n'avait osé dire : « Je ne veux pas d'un bébé, c'est trop tôt ». Et elle non plus, n'avait rien dit. Alors ils avaient emménagé ensemble, et Xavier s'était aperçu que vivre avec une fille, même une aussi chouette qu'Ana, c'était pas si évident, surtout enceinte. Elle se plaignait de tout faire à la maison, mais dès qu'il remplissait le lave-vaisselle, elle passait derrière lui pour ranger autrement verres et assiettes à l'intérieur. Il pendait du linge, elle décrochait les chaussettes pour les mettre à sécher par le bas et non pas le haut. Et plus la grossesse avançait, pire c'était. Elle avait envie du yaourt qu'il venait de finir, de faire la sieste la journée et la fête la nuit. Restait mutique au dîner, voulait bavarder quand il dormait sur le canapé, épuisé par ses journées qui conjuguaient l'IUT et son job de serveur pour payer le loyer. Pourtant, entre chaque, il retrouvait la jeune femme lumineuse qui l'avait ébloui. La grossesse lui allait vraiment bien. Elle était pénible certes, mais aussi douce, généreuse, gentille, drôle, alors, ça valait le coup de supporter le reste. Elle avait décroché sa licence de droit juste avant l'accouchement, puis était restée à la maison pour s'occuper de la petite, une merveille d'enfant que Xavier ne se lassait pas de regarder. Natacha était très facile, les premiers mois avaient été parfaits, peut-être la plus belle période de sa vie. Il avait épousé Ana dans la foulée, parce qu'il lui semblait que c'était la meilleure chose à faire à ce moment-là, et puis, ils étaient bien ensemble. Il avait la sensation qu'il aurait pu tomber sur bien pire. C'était une excellente maman, tendre et patiente, très présente tout en lui laissant son rôle de père. Une si bonne mère qu'il avait réussi à la convaincre de repousser sa recherche d'emploi. Elle n'avait pas de formation professionnelle, si c'était pour trimer à gagner un SMIC qu'ils reverseraient à la nounou, quel intérêt ? Sa mère l'avait élevé lui, avec ses frères et sœurs, et il n'en avait que des bons souvenirs. Pas de cantine, de périscolaire, de centre aéré, juste une maman aimante et des goûters faits-maison. Ana avait tenu trois ans avant de remettre le sujet sur le tapis, juste au moment où il avait mis un autre sujet sur le même tapis : un second enfant. Il avait tenté de négocier, de trouver un compromis impossible, et finalement, c'est sa femme qui avait eu gain de cause. Reprendre ses études, différer le bébé. Ça ne lui plaisait guère mais Xavier n'avait jamais été le genre de mec à s'opposer à qui que ce soit. Elle avait cherché quoi faire, avait proposé « instit », et il avait entendu « fonctionnaire, vacances scolaires, à la maison à seize heures ». Banco. Elle avait travaillé d'arrache-pied, avec une ténacité qui forçait l'admiration et réussi son concours en candidat libre, du premier coup, et bien classée en plus. Mais il avait rapidement déchanté. Elle travaillait sans arrêt, préparations, corrections, réunions, conférences obligatoires, passait ses soirées devant des copies, les week-ends derrière son ordinateur, ne parlait plus que des élèves, des collègues, des programmes. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il avait imaginé. Il regardait sa femme, qui s'était accomplie sans lui, qui aimait son travail plus que sa vie de couple. Ils ne partageaient plus grand chose, n'avaient plus rien à se dire. Alors, il regardait la télé pendant qu'elle établissait des projets pédagogiques. Il avait attendu un, deux ans avant de revenir à la charge avec son histoire de famille. Ana avait cédé, sans conviction. Ils savaient l'un et l'autre que ce serait le seul moyen de renouer les liens entre eux, leur amour détricoté par le temps, les années, la tiédeur. Le bébé de la dernière chance.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant