Chapitre 83

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Elle le voit tout de suite en arrivant. Le sourire sur le visage de son frère, la lueur de ses yeux qu'il ne parvient pas à gommer. Qu'il n'a même pas envie de gommer. Intriguée, elle l'embrasse sur les joues et va s'assoir sur le canapé. Elle le suit du regard alors qu'il lui prépare un thé. Il n'a pas sa tête habituelle. Il a encore maigri, à manger si peu, mais il semble moins cerné, moins marqué. Apaisé, même.

— Ça va ? interroge-t-elle lorsqu'il la rejoint.

— Oui, super.

— On dirait, en effet. Il se passe quelque chose ?

— Non, je suis juste de bonne humeur.

Il s'est fait avoir la veille avec les questions d'Hugo, il ne retombera pas dans le panneau, même sous la torture, il n'avouera pas à sa sœur chérie ce qui s'est passé avec Ana, parce qu'elle ne comprendra pas la suite qu'il accorde à leur relation. Alors il se l'est promis, motus et bouche cousue. N'empêche qu'encore une semaine après, le souvenir de ce moment s'étale toujours sur son visage comme un grand sourire niais. Celui-ci, et tous les autres moments. La proximité, l'intimité qui s'installe entre eux, tout ça lui met du baume au cœur.

— Et toi ? demande-t-il en la rejoignant avec sa tasse de thé et son café.

— Hum, ça va.

Il n'insiste pas. Ça marche dans les deux sens après tout.

— Dis, reprend Camille en regardant tout autour d'elle. Ça fait combien de temps qui tu as emménagé ?

— Fin janvier, donc... un peu plus de deux mois.

— Franchement, Findus, il est temps de s'occuper de la déco. C'est plus possible, là.

Colin hausse les épaules, le sujet ne le passionne pas, pas plus que les magasins qu'il va devoir arpenter.

— Je n'ai pas fric à consacrer à ça et de toute façon je ne saurais même pas quoi acheter.

— Écoute, voilà ce que je te propose. On y va cet après-midi, je t'emmène chez Maisons du Monde, et Au petit souk, une boutique du centre-ville que j'adore. Je m'occupe de tout, et je paye, ce sera ton cadeau d'anniv en avance. Juste, tu m'accompagnes parce que j'ai pas envie d'être seule, et puis il faut bien que tu me dises si tu aimes ce que je choisis ou pas. Ça marche ?

— Camille, c'est beaucoup trop...

— T'occupe, c'est égoïste, comme le canapé. C'est un bel appartement, mais il est trop triste. Avant ça pouvait passer, mais là, avec ta tête des bons jours, vous n'êtes plus du tout assortis.

Colin sourit, et acquiesce

— On déjeune et on y va ? propose-t-elle en vidant sa tasse de thé.

— A quelle heure tu dois voir Annelise ? demande Colin.

— Je... je ne la vois pas aujourd'hui.

Ok, l'air crispé de sa sœur complète bien la réponse évasive de tout à l'heure, il comprend mieux.

— Vous vous êtes disputées ?

— On peut dire ça... grince Camille. En fait on est, comment dire... en pause.

— Attention, ça n'a pas réussi à Ross et Rachel, plaisante Colin, mais il se reprend devant la grimace de sa sœur. Pardon, je voulais juste te faire rire...

— C'est con, pour une fois que t'es d'humeur joviale, je suis de mauvais poil. On est jamais sur la même longueur d'ondes, maugrée-t-elle, alors son grand frère la prend dans ses bras.

— Hey ma Camomille... C'est grave ? On peut en parler si tu as besoin, sinon je te laisse tranquille.

— Je crois qu'on va se séparer. Pour de bon, fait Camille, en se rasseyant.

Colin l'imite et d'un regard, l'encourage à continuer.

— Elle est fâchée parce que je n'assume pas notre relation... elle dit qu'on fait du sur place et qu'elle perd son temps avec moi. Et tu sais quoi ? Je crois qu'elle n'a pas tort.

— Mais tu me l'as présentée, à moi, et à certaines de tes amies proches, non ?

— C'est vrai, mais je n'ai rien dit aux parents, et je refuse de rencontrer les siens. Ça la fout en rogne. Je ne peux pas lui en vouloir, mais... je n'y arrive pas.

— Est-ce que tu l'aimes ?

— Oui, bien sûr.

— Non, Camille, est-ce que tu l'aimes. Est-ce que tu es prête à te battre pour elle ? Est-ce que, d'imaginer l'avenir sans qu'elle soit à tes côtés, tu te sens mourir de chagrin ? Est-ce que tu te vois dans trente, quarante, cinquante ans auprès d'elle ?

— Non, avoue Camille sans hésitation, les yeux baissés. Elle m'énerve quand elle traîne des heures en pyjama, mais aussi quand elle joue les femmes branchées, avec son rouge à lèvres Chanel et ses trench Max Mara ou Burberry. Et puis je ne supporte pas le bordel de son appartement.

— L'amour, ce n'est pas trouver que la personne en face de toi est parfaite, c'est accepter ses défauts. Visiblement ce n'est pas trop le cas, là.

Colin reste silencieux un moment, il laisse les pensées de sa sœur cheminer tranquillement. Mais il aurait préféré éviter la question piège qui survient alors qu'elle relève les yeux.

— Et toi, qu'est-ce que tu penses d'elle, Colin ?

— Je n'ai rien à faire dans votre histoire. Et je ne l'ai vue qu'une fois.

— Mais comment tu l'as perçue ? insiste Camille. S'il te plaît, Colin, j'ai confiance en ton jugement. Et sois franc, je t'en prie !

— D'accord. Alors, si tu veux tout savoir, je trouve qu'Annelise t'infantilise.

Camille accuse le coup, sans répondre.

— Je l'ai trouvée gentille, sympa, mais elle a usé, à ton égard, d'une sorte de condescendance qui m'a quelque peu irrité. Et quand tu me parles d'elle, je retrouve cette attitude. Mais que ce soit clair, Camille, elle a aussi beaucoup de qualités, et je répète que je ne l'ai rencontrée qu'une fois. Je ne la connais pas.

— Merci pour ton honnêteté. Je dois réfléchir à tout ça. De toute façon, la semaine dernière, quand on s'est disputé, elle m'a dit que le mieux c'était que l'on reste quinze jours sans contact, jusqu'à ce que j'ai réfléchi à ce que je veux pour notre relation.

— Elle t'a punie dans ta chambre, quoi.

— Putain, lâche Camille en cachant son visage dans ses mains.

Colin pose sur son dos une main apaisante. C'est dur pour lui de voir sa petite sœur dans cet état, complètement perdue.

— Écoute, ça vaut ce que ça vaut, et tu fais ce que tu veux de mon conseil, mais peut-être que si tu as du mal à t'engager avec elle, c'est parce que tu ne vois pas d'avenir entre vous. Ne perds pas ton temps, Cams, et ne la fait pas souffrir inutilement. Je crois que si ça avait été un homme, tu te serais posée moins de questions.

— Tu crois que je ne suis pas lesbienne ?

— Je crois qu'Annelise n'est pas celle qu'il te faut.

— Je crois que celle qu'il me faut n'est pas lesbienne.

— Je crois qu'il était temps que tu voies la vérité en face.

Camille retire ses mains et regarde son frère.

— Tu avais remarqué ?

— Ça fait un sacré moment. Réfléchis bien Camille, et si tu décides de poursuivre ta relation avec Annelise, je ferai vraiment ce qu'il faut pour l'apprécier, parce que je suis certain qu'elle vaut le coup. Mais je ne peux pas ne pas te dire d'aller au fond de tes envies. Parce qu'un jour, tu vieilliras avec des regrets, et que c'est trop triste. La vie est trop courte pour ne pas tout tenter pour être heureux. Et crois-moi, je sais ce que je dis.

Colin Maillard et chat perchéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant