UNE FILLE PAS COMME LES AUTRES. TOME I. (TERMINÉ).

CHAPITRE XLVIII.

               CHANGEMENT
                          DE
                PROGRAMME.

     Saül avait commencé à travailler en collaboration avec les Allemands le lendemain de sa communication avec Wendy. Ayant décidé de la prendre au mot, il se jeta à l'eau et accepta de signer un contrat pour une période d'essai de six mois. Dans ce sens, il contacta plusieurs agences immobilières en vue de dénicher un endroit agréable où vivre. Il n'espérait guère trouver sa maison de rêve. Comparée à l'Eden de Wendy toute autre demeure, aussi belle et confortable soit-elle, ne pourrait prétendre rivaliser avec elle. Il songeait déjà au jour où il devrait la quitter. Il s'était habitué aux lieux comme s'il y avait toujours vécu. Il en connaissait tous les coins et recoins. Sauf deux chambres et le grand hangar. En effet, les chambres de Wendy et de son grand-père étaient presque constamment closes. Il avait compris grâce à un moment où l'on nettoyait l'une des chambres qu'il s'agissait de celle de la jeune fille. Il avait aperçu une coiffeuse avec des produits cosmétiques. Il aurait aimé y pénétrer et l'explorer à sa guise. Il aurait sûrement trouvé une photo d'elle. Pourtant au fond de lui, il préférait entretenir le suspens et découvrir au moment voulu si l'image dans sa tête correspondrait à la réalité. En attendant, il partageait son temps entre les promenades en forêt avec Sirius, les séances de sport et de natation et son travail assidu pour honorer ses engagements. Mais son occupation préférée était de penser à Wendy et à Championne en oscillant entre sa préférée. Il était très heureux de son séjour à Paris. Sur tous les plans.

    Il devait une fière chandelle à Wendy qui lui avait fait entrevoir les avantages d'un travail en partenariat et l'intérêt de saisir toutes les opportunités ne serait-ce que pour en faire des expériences. Vivre de nouvelles aventures même en risquant de les voir se métamorphoser en mésaventures peut toujours se révéler constructif. L'être humain apprend de tout. De ses exploits comme de ses défaites. La coexistence exige, de plus, certaines concessions qui se révèlent fort enrichissantes. Un être humain, de nature sociable, a nécessairement besoin de tisser des relations, de créer des ponts avec son entourage. A lui de choisir les bons et de laisser les mauvais. Quelqu'un de sensé apprend et tire profit de toutes les situations vécues, bonnes ou mauvaises. Le monde est un amalgame du Bien et du Mal. Les anges et les démons à figures humaines pullulent sur la surface de la Terre. S'isoler n'est guère la solution. Il faut être capable de faire face à quiconque. Avec fermeté et assurance. S'imposer est la clé.

   Saül faisait du très bon travail, s'amusait pour profiter de ses vacances et ne cessait de songer à Wendy. Leurs conversations tournaient en boucle dans sa tête. Oui, ils avaient eu d'autres appels et d'autres discussions. De longues discussions. Le plus souvent c'était Wendy qui appelait, très tôt le matin ou tard, dans la soirée, soir après sa séance d'activité physique : courir au bord du littoral, nager et jouer à l'escrime, une passion qu'elle avait négligée et que le contact de son papy lui avait rappelé étant lui-même un grand expert de cet art, soit en contemplant les étoiles, au clair de la lune.

   Saül découvrait, à chaque fois, avec plaisir, les multiples points communs qui les rapprochaient. Les silences étaient rares dans leurs conversations. Ils trouvaient à chaque fois un sujet d'intérêt mutuel. Son seul et unique désagrément était son incapacité à la voir. Il ne pouvait point lui demander de lui poster une photographie la représentant. Au cours d'une discussion, elle avait clairement montré sa position sur la chose : des comptes étaient si aisément et si occasionnellement piratés ! Elle refusait catégoriquement de garder aucune photo trop personnel sur son mobile.

   D'abord, entretenir une relation suivie, même de loin, avec Wendy était fort stimulant. Il avait la possibilité de se brosser d'elle tous les portraits possibles. Parfois il la voyait grande et élancée. Parfois il la voyait assez petite mais svelte et mince. Tantôt il l'imaginait en une jolie brunette. Tantôt il l'imaginait comme une belle blonde aux yeux verts avec des cheveux longs et lisses faisant un rideau protecteur aux rondeurs de son corps parfait. Difficile de se décider d'autant plus que Saül n'avait pas un type de filles qu'il favorisait. Par ailleurs, vivre dans le suspens lui sabotait le moral. Il voulait la voir, la toucher et surtout savoir si leur empathie pouvait les mener quelque part. Enfin, le risque de découvrir que Wendy n'était autre que Championne et devoir la perdre à cause de son frère au cas où leurs rapports seraient plus profonds qu'il n'y paraissait. Se connaissant et reconnaissant son faible pour son frère, il préférerait battre en retraite plutôt que de se battre. Contre son frère. Lui, il avait tout. Peter était né sans rien et l'éducation reçue de sa mère n'avait guère réussi à faire de lui un homme dans le plein sens du mot. Trop imbu de sa personne et de sa beauté, il étalait sa virilité sans se soucier de faire le malheur d'innocentes créatures dont le seul tort était d'avoir cru en lui et en ses belles promesses.