CHAPITRE XIV.

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    PLAINTES ET COMPLAINTES.

    Catastrophée, Connie se rendit directement au journal. Dès son arrivée, sans ôter ses lunettes de soleil pour camoufler le rouge de ses yeux gonflés, elle prit la direction des toilettes des femmes et ce ne fut qu'une fois enfermée qu'elle inspecta l'état de son visage. Une poupée barbouillée ! Son rimmel censé résister à l'eau avait coulé et lui faisait des cernes noires. L'état de son eye-liner et de son fond de teint n'était pas meilleur. Tout en maudissant les hommes et leur sacro-sainte liberté elle tentait d'arranger les dégâts, mais comme dans sa précipitation de rejoindre Saül elle avait omis de placer sa petite  boîte magique dans son sac à main les réparations semblaient compromises. Alors en découvrant qu'elle aggravait son barbouillage, elle se décida à se laver complètement le visage d'autant plus qu'il n'y avait pas une autre solution. Se retrouver sans maquillage en plein jour et en pleine activité incommodait superbement Connie; or, cela, valait mieux que de devenir la risée du bureau avec une face striée de noire. Puis une fois ayant obtenu une figure propre et présentable dans une dernière tentative de sauver la face, elle ramassa ses longs cheveux en un chignon et remit ses lunettes. Elle pouvait toujours prétendre être malade ou indisposée et les  conserver toute la journée. Après tout, elle était libre elle aussi d'agir à sa guise. Elle n'avait de comptes à rendre à personne. Sauf à... GABY et malheureusement elle se montrait très pointilleuse quant à l'aspect de ses journalistes. Et il fallait croire que ce matin Connie souffrait de malchance puisque en sortant des toilettes la première personne qu'elle rencontra fut... GABY.

    - Que se passe-t-il, Connie !? C'est quoi ce déguisement ?

    Pour toute réponse, la jeune femme se contenta d'ôter ses lunettes révélant ainsi sa mine défaite et ses yeux gonflés et injectés de sang.

    - Ne me dis surtout pas que tu as fait la nouba cette nuit !

    - La nouba !? Ai-je l'air d'une femme heureuse qui émerge des vaps d'une orgie !? riposta-t-elle d'un ton hargneux et excédé incapable de dissimuler sa fureur devant sa supérieure.

   Choquée au début par la riposte insolente et inhabituelle de Connie, Gabrielle fut tentée un bref moment de lui asséner l'une de ses répliques cinglantes capable de faire taire les plus audacieux et insolents. Pourtant, quelque chose dans le ton et le maintien de son interlocutrice lui mit la puce à l'oreille l'obligeant à se contrôler et à chercher à comprendre les dessous d'une telle réaction.

   - Viens ! Allons dans mon bureau. Nous y serons mieux pour discuter.

   Gabrielle était une femme encore très belle malgré son âge. Ses cinquante ans et quelques miettes ne réussissaient point à lui ôter son charme. Blonde avec des yeux bleus, elle donnait à peine quarante ans. Toujours vive, dynamique et productive, elle se dépensait sans compter. Au lieu d'en être fatiguée, elle ressemblendissait de vitalité et de beauté. Avec son teint frais et éclatant, elle pouvait rivaliser avec des femmes plus jeunes. Connie, quant à elle, en temps, normal, donnait plus que son âge, mais avec son visage dépouillé de toute trace de cosmétique, ses yeux bouffis exagérément gonflés et son air furieusement contrarié, elle paraissait vraiment défraîchie, défaite et flétrie. Déjà de nature jalouse enviant les femmes belles, riches et épanouies, elle considérait Gaby comme un modèle à suivre. La vénérant habituellement, à l'instant présent elle la considérait en tant qu'ennemie étant donné que tout avait débuté à cause d'elle et de ses insinuations. Oui, Gabrielle était parvenue à la conclusion selon laquelle un homme ambitieux et promis à de hautes sphères devait être secondé par une femme disponible et prête à toutes les concessions en vue de voir le nom de son homme briller au firmament. Même si à haute voix elle proclamait l'émancipation de la femme et la nécessité de l'intégrer à la vie sociale, politique, économique..., parfois, elle se faisait la réflexion selon laquelle certains hommes étaient faits pour réussir et certaines femmes pour évoluer dans leur sillage. Intuitive et fine, elle avait pu déceler la vraie nature de Connie. De physique passable, elle pouvait devenir très jolie si bien prise en main. Issue d'un milieu modeste, elle rêvait de décrocher un poste important au sein du journal afin de devenir célèbre et riche. Journaliste à l'ambition démesurée mais au potentiel limité, sa réussite était difficile. Gaby l'avait choisie et avait provoqué une rencontre avec Saül car désirant offrir à son fils une chance de mener une vie paisible avec une femme prête à se satisfaire d'une existence normale et évoluer dans l'ombre de son époux. Consciente que Connie ne pouvait point inspirer une forte passion, elle la jugeait qualifiée pour tenir le rôle d'épouse de son fils unique. A quoi bon vivre le grand amour s'il devait avoir le cœur brisé par une femme aussi ambitieuse que lui sinon plus ? Ou à cause d'un adultère car sa femme aurait  trouvé mieux ailleurs ?

UNE FILLE PAS COMME LES AUTRES. TOME I. (TERMINÉ). Où les histoires vivent. Découvrez maintenant