CHAPITRE XXVIII.

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               ABSOLUTION.

     Suite au retour de leur mère, les deux hommes défilèrent au chevet de leur père à tour de rôle et chacun d'eux osa enfin avouer ce qu'il ressentait ne ménageant ni les mots, ni la peine de dire tout ce qui le terrifiait à l'idée de voir son père disparaître sans avoir au moins une fois pris le courage de lui déclarer ouvertement son amour et son admiration. Un vrai épanchement qui mit et l'infirmier et le patient au supplice.

   Le premier d'être le témoin... gênant et gêné de scènes familiales très intimes, très personnelles et très particulières. Mais aussi très instructives. Il apprit beaucoup sur le sens de la cohésion familiale et les retombées en cas de... discorde ou plutôt de... quiproquo. En amour, avec n'importe quelle option, il fallait franchise, audace et transparence. Ne pas extérioriser ses sentiments étouffe et fait passer à côté de choses qui pourraient s'avérer si... merveilleuses. Lui-même était follement épris d'une collègue mais n'osait en aucun cas lui avouer son amour de peur de la voir le rejeter mais en attendant il ne vivait pas réellement suspendu au fil d'un espoir défaitiste oscillant entre la joie d'un partage réciproque et d'un refus sans appel. Que choisir ? Espérer et vivoter ? Trancher pour saigner et continuer le cœur vide telle une coque ? Son esprit partait en vadrouille dès qu'il était question de l' affronter en passant aux aveux... Grâce aux révélations desquelles il fut témoin, malgré lui, il prit conscience d'une nouvelle donne : la peur et l'hésitation font passer la personne à côté de beaucoup de choses parmi elles, la plus importante, le bonheur. Il était fort probable que Norma soit amoureuse de lui ou du moins voie d'un bon œil l'idée d'une relation... Oui, tout était possible. La soirée avec les King se révélait fort... intéressante.

    Le second, emballé d'abord par l'enthousiasme premier d'une idée ayant surgi dans sa tête de voir, non d'entendre puisqu'il avait les yeux obstinément fermés par sa volonté de découvrir.... De découvrir quoi au juste ? Une trahison ? Une duperie ? Une hypocrisie ? Une menterie ? Ou plutôt son envie d'entendre ce qu'il souhaitait depuis toujours !? Entendre de ses oreilles l'amour des siens pour vérifier de la sorte sa réussite car dans son for intérieur Isaac King redoutait plus que tout d'avoir échoué dans la mission qu'il s'était fixée et qui lui importait  plus que tout au monde : gagner l'affection des siens. Découvrir que les uns ou les autres lui tenaient rigueur ou nourrissaient quelque aversion le briserait. Il voulait que les siens voient au-delà des apparences. Il avait lamentablement échoué avec... Gaby mais il espérait que les garçons soient plus perspicaces. Pour Patricia, il avait été sûr de son amour. Seule une femme vraiment amoureuse pouvait supporter son caractère et ses lubies. Pourtant, ses révélations furent un baume apaisant. Une consécration. Jamais ses espérances n'avaient osé atteindre de telles cimes ! Être aimé avec cette intensité l'avait ravi. Ses fils lui firent un cadeau des plus inattendus. Il était le mari et le père le plus heureux. Non. Il lui restait encore un acte à entreprendre. Pour mériter un tel amour et une telle confiance. Il avait un peu honte de se jouer ainsi des sens; or, le but étant bénéfique, sa conscience s'apaisa aisément. Après tout, tout le monde y gagnait... Et puis il allait mettre un terme à la comédie. Tout de suite.

    Isaac s'apprêtait à ouvrir les yeux jouant à celui qui venait de reprendre conscience en voyant le silence de son fils se prolonger lorsque celui-ci reprit son monologue :

   - Je sais papa que c'est un peu trop de révélations pour toi le même jour mais les surprises ne finissent pas pour autant. Un autre membre de la famille est ici et il se pourrait qu'il veuille venir te voir. Enfin, je veux dire, venir ici et voir comment tu vas.

    Isaac sentit son cœur s'arrêter cette fois pour de bon. Un autre membre de la famille !? Qui...!? Qui d'autre que... GABY !? Sa fille s'était décidée à venir le voir !? L'inflexible Gaby avait décidé de revenir au bercail et de pardonner à son père !? Le moment des retrouvailles tant attendues était enfin venu !? Fallait-il vraiment y croire ? Devait-il y croire ?... Avant son malaise, il aurait davantage songé à l'arrivée d'une Gaby, en pleurs, repentie et repentante. Il n'aurait pas pensé à lui pardonner sans qu'elle ait reconnu sa gravissime erreur. La blâmer, la charger de culpabilité, l'agonir de griefs... De cette façon, uniquement, il pourrait se sentir lavé de tout affront. Contrairement à tous les scénarios imaginés, après son indisposition, la mise au point de sa femme, les aveux de ses enfants, sa peur de partir avant d'avoir rattrapé ses erreurs, il visualisait les choses différemment. Il n'était pas Dieu pour se croire le seul apte à donner... l'absolution, ni un saint exempt de défauts et encore moins un père parfait autorisé à châtier les indisciplinés. Isaac King était un... homme, un simple et faible homme qui avait fauté, hideusement, et devait se trouver la possibilité de se rattraper. N'était-il pas censé être un père assez sage et capable d'absorber les fautes de ses enfants ? Et puis même si faute il y avait, cela remontait à tellement longtemps ! Normalement, le temps devrait calmer les gens et non pas les dresser davantage les uns contre les autres.

UNE FILLE PAS COMME LES AUTRES. TOME I. (TERMINÉ). Où les histoires vivent. Découvrez maintenant