CHAPITRE LIV.

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             LES MALHEURS
                        SE
                 SUCCÈDENT.
              ( 2ème PARTIE).

    En arrivant à la hauteur du quatuor, Peter qui avait devancé Issac eut une vision cauchemardesque de la scène s'offrant à ses regards. Il vit d'abord la mine trop sérieusement défaite du médecin à la blouse bleue puis l'horreur se peignant sur le visage de Gaby et l'extinction de toute vie de son beau regard habituellement luisant. Il sut avant d'avoir le temps d'interroger quiconque que les nouvelles étaient funestes.

   Était- ce une malédiction ? Était-il le propre instigateur du malheur de son père ? Ses morbides pensées, voire souhaits, prenaient donc une forme réelle ? En était-il content ? Sa satisfaction personnelle devait-elle nécessairement passer par le sacrifice de son géniteur ? Depuis quand était-il devenu aussi insensible ? Ou était-ce tout simplement sa vraie nature qui émergeait se débarrassant de tout principe et de tout éveil d'une conscience importune et quasiment inexistente ? Lui faudrait-il fouler, sur son chemin, toute trace de sensibilité, ou plutôt de sensiblerie, de loyauté et de gratitude à l'égard d'un bon père exemplaire ? Était-il tombé si bas qu'il ne réagisse aucunement à l'hypothèse de la mort de ce père aimant ? De lui était donc sorti ce monstre repoussant aux poils hirsutes et aux crocs aiguisés ? La tendresse de Sébastien Wendworth avait plié devant l'intransigeance d'Annie ? Gaby aimait donc Sébastien, son ancien époux plus que lui, le propre fils du patient !? Triste monde où l'enfant se réjouissait de la douleur de son père ! Que Dieu nous vienne en aide !

    Pendant que Raoul se précipitait pour saisir Gaby au vol, Patricia, livide à l'annonce des mauvaises nouvelles, faillit se retrouver mal elle aussi. En un éclair, elle imagina Sébastien malade, infirme et démuni... L'image lui occasionna une peine si atroce qu'elle en vacilla. Heureusement, Isaac qui arrivait réussit in extremis à lui éviter une chute qui aurait pu s'avérer blessante. Chacun soutenant une dame pendant que le docteur appelait des infirmiers en renfort, ils virent Peter, imperturbable, s'approcher et demander :

   - Il est donc mort ?

    Occupé à donner ses instructions le docteur l'ignora un moment par obligation puis plus longtemps en sentant une certaine satisfaction dans le ton du jeune Wendworth. Trop habitué à la douleur, à la mort et aux pertes, il n'était point parvenu à atteindre ce point de non retour, ce point d'insensibilité où l'être humain devient un produit, un outil, une source de revenus. Ayant réussi à sauvegarder son humanité, il ne pouvait nullement être comparé à certains médecins devenus beaucoup plus commerçants, voire bouchers.

   Lorsque les deux femmes furent emmenées par des infirmières dans une chambre pour recevoir les premiers soins, le docteur resté seul avec Peter se tourna vers celui-ci et lui dit :

   - Vous êtes ?

   - Le fils.

   - Vous êtes donc le fils de la dame qui vient de s'évanouir ?

   - Non. Elle est l'ex-femme de mon père. Mais pourquoi une telle question ?

   - J'ai bien peur de vous décevoir en vous disant, commença le docteur, ignorant la demande d'éclaircissement du jeune homme, que votre père se porte bien. Il est hors de danger, mais pour le moment, à cause de sa chute ayant provoqué, un coma provisoire, il présente un certain endommagement au niveau de certaines régions vitales et du coup il reste aveugle et sourd.

   - Quoi !? Mais c'est affreux ! Mon père impotent !? Il préférerait plutôt mourir cent fois ! réagit Peter de façon violente.

  Le médecin eut du mal à y voir soulagement ou déception. Ou plutôt de trancher si la réaction dévoilait joie ou horreur. Ayant côtoyé des individus aux idées les plus farfelues et aux désirs les plus inattendus, il s'avouait être chamboulé par celle du prétendument fils de son patient. Bien heureux qu'il ait une ex. capable de réagir aussi violemment à l'annonce de son infirmité. Qu'elle soit durable ou temporaire, peu importait. L'essentiel est qu'il y ait séquelles. Son malaise témoignait de sentiments forts en dépit d'un divorce qui avait dû être indispensable vu son choc. Une femme si belle et si séduisante ! Il lui fallait reconnaître que les deux formaient un bien beau couple en dépit de leur âge.

UNE FILLE PAS COMME LES AUTRES. TOME I. (TERMINÉ). Où les histoires vivent. Découvrez maintenant