Chapitre 9 : Marché conclu

21 7 5
                                    

À quelques kilomètres du lycée, enfermée dans son salon, une bouteille de saké à portée de mains et une cigarette pendue au coin des lèvres, Aisu Kamiaku tentait de mettre un point final à son manuscrit. Il ne lui restait plus que trois chapitres avant de parvenir à son épilogue, mais elle ne savait comment sauver son héros qui se trouvait dans une situation périlleuse et qui ne savait pas ce qu'il devait sacrifier pour sauver sa peau : son honneur ou la femme aimée ?

L'écrivain poussa un soupir découragé : voilà deux nuits qu'elle n'avait pas dormi pour tenter de s'extirper de ce cauchemar que représentait son dernier roman. Son agent littéraire n'arrêtait pas de la harceler depuis plus d'une semaine car elle avait, une nouvelle fois, dépassé les délais convenus avec sa maison d'édition !

Soudain, le claquement de la porte d'entrée la fit sursauter. Elle se retourna et vit avec stupeur que son nouveau protégé lui faisait face ; les mains crispées sur le shoji conduisant au salon, le visage couvert de sueur.

La jeune femme voulut ouvrir la bouche, mais l'adolescent l'en dissuada d'un regard menaçant. Il entrouvrit légèrement les lèvres, un peu de sang glissa le long de son menton et d'une voix faible, comme éteinte par la course qu'il venait d'accomplir, il murmura :

— Je vais partir Aisu... je n'ai pas le droit de rester...

L'air démoniaque de l'adolescent était loin d'effrayer Aisu ! Elle en avait vu d'autres. Elle se leva, se dirigea vers Kijin, le saisit par l'épaule et le força à prendre place devant elle. La jeune femme retourna à sa place, attrapa une bouteille de saké et un verre à la propreté douteuse. Elle versa la liqueur dans le verre et le tendit au jeune homme. Celui-ci voulut refuser, mais craignant de la vexer, prit l'offrande et y trempa ses lèvres en grimaçant.

— Alors mon poussin, demanda l'écrivain tout en portant la bouteille à ses lèvres. Que s'est-il passé ? Tes nouveaux camarades se sont tous ligués contre toi ?

Il ne répondit pas. Le visage de la jeune femme s'assombrit.

— Kijin, qui es-tu en réalité ? J'ai l'impression que tu nous caches quelque chose.

Le jeune homme reposa son verre et secoua la tête comme pour reprendre ses esprit.

— Je ne sais pas, murmura-t-il en massant son crâne endolori, je ne sais vraiment pas...

Il releva la tête. Ses yeux étaient emplis de larmes.

— Et peut-être que je ne le saurais jamais.

Aisu reposa sa bouteille bien entamée, se saisit de son paquet de cigarettes. Elle en alluma une qu'elle porta  à ses lèvres. Décidément le petit Kijin Akuma l'intriguait de plus en plus !

— Je t'écoute.

— Ce ne sont pas les autres, le problème, c'est moi. Je n'ai jamais appris à vivre avec les autres...

L'adolescent crispa ses poings sur ses genoux repliés. Avant sa fuite, il ne connaissait qu'un seul lieu : cette chambre froide et obscure dans laquelle il se terrait depuis sa naissance. Condamné à contempler la vie par l'unique petite fenêtre, pourvue de barreaux, dont disposaient ses « appartements ». Bien souvent, il grimpait sur son lit et observait d'un œil envieux, les autres enfants Akuma s'ébattant dans le jardin. Il les jalousait car eux, étaient libres alors que lui, était à jamais emprisonné entre ces quatre murs. Même s'il essayait d'attirer leur attention pour quémander un peu de leur amitié, les enfants jamais ne tournaient la tête vers sa direction car tous savaient ce qui se cachait derrière la petite fenêtre.

— Tu as fui pour retrouver ta liberté, murmura alors Aisu, je me trompe ?

Le jeune homme acquiesça en silence. L'écrivain ne put réprimer un triste sourire.

MajinaiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant