Chapitre 70 : Une fille extraordinaire

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La pauvre Mizu retint ses larmes et prit place à une table isolée pour réfléchir à ses sentiments et à ce qu'elle venait de vivre. Ce n'était pas la première fois que Kijin repoussait ses avances. Elle ne parvenait plus à le comprendre. Il avait tellement changé ! Et lorsqu'elle tentait de lui demander la cause de sa mélancolie, il la rabrouait en lui offrant pour unique réponse, un silence glacial. La jeune fille ne put réprimer un frisson d'effroi : Était-ce Majinai qui prenait le contrôle sur Kijin ? Le démon avait-il réussi à s'emparer de l'être humain ?

— Mizu ?

La jeune fille releva la tête. Le réfectoire était désormais désert, même ses amis l'avaient abandonnée ! Seul Kensuke Adams était resté. Son beau visage était penché au-dessus d'elle et une petite ride soucieuse se dessinait derrière les mèches de cheveux barrant son front. Il sortit un mouchoir en papier de sa poche et le tendit à sa camarade. Mizu l'accepta avec un pauvre sourire.

— Merci, murmura-t-elle tout en essuyant ses joues humides de larmes.

Kensuke lui répondit par un sourire amical et s'installa à ses côtés. Lorsque l'épaule du jeune homme frôla la sienne, Mizu ne put s'empêcher de frissonner. Cette fois-ci, ce n'était pas la crainte qui la faisait frémir, mais un tout autre sentiment qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer.

— Hé bein ! s'exclama Kensuke, brisant ainsi le silence pesant qui s'était faufilé entre eux. Il est plutôt du genre agressif ton copain ! Tu veux que j'aille lui toucher deux mots sur son comportement ?

Mizu lui décrocha un tel regard que Kensuke, troublé, détourna le sien, en passant une main nerveuse dans son abondante tignasse brune. Ce simple geste, que Mizu trouva fort adorable, révéla le petit dragon argenté étincelant à son oreille.

— Désolé, grommela-t-il d'un ton penaud. Je suis vraiment maladroit et sans-gêne ! Si ma mère se trouvait là, elle te dirait sans doute que cela me vient de mon côté occidental.

— De ton quoi !?

Son camarade se tourna vers elle. Ses yeux pétillaient de malice.

— Je suis moit-moit. Mi-Japonais, mi-Américain, si tu préfères. Selon ma mère, tous mes défauts proviennent de mon sang occidental alors que mon père, lui, met en cause mon côté oriental.

— Tes parents, ils... hésita Mizu.

Kensuke hocha la tête avant de poursuivre :

— Divorcés depuis quelques mois et entre eux, c'est la guerre pour savoir qui va récupérer Cookie, le caniche de la maison !  Je vis ici avec ma mère et ma sœur, la garde des enfants s'est faite à l'amiable, avec en prime une pension alimentaire bien garnie ! Avant, on vivait à New-York. Pour tout t'avouer, je me sens plus nippon que yankee. Je trouve ce pays fascinant ! Les mangas, les pocky, le visual-kei, la J.pop, les films d'horreur ! Et je ne te parle pas de vos sushis et du saké ! Et toutes ces légendes ! Je m'attends à voir surgir à tout moment un kami entre les arbres ! C'est bien comme ça qu'on dit, non ? Un kami ?

Mizu lui décrocha un regard surpris avant d'éclater de rire : Kensuke n'avait pas mis de temps à en débusquer un, de kami ! Il en avait un juste à côté de lui !

Croyant qu'elle se moquait de lui, Kensuke piqua un fard.

— Ne te moque pas... Moi, j'y crois un peu à toutes ces histoires que me racontait ma grand-mère maternelle... Ce pays, c'est comme vivre dans un monde de rêve : avec les gratte-ciel  qui se mêlent aux temples et aux geishas... Ma sœur, pour une fois, est entièrement d'accord avec moi ! Dans mon lycée pour gosses de riches aux États-Unis, je ne me sentais pas à ma place, alors qu'ici, j'ai l'impression de trouver un univers fait pour moi. Sans compter qu'un océan nous sépare maintenant mon père et moi, et c'est tant mieux !

MajinaiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant