Lorsque Aisu Kamiaku pénétra dans l'enceinte du Manoir, un petit courant d'air glacial la fit frissonner. Elle remonta le col de sa veste et enfouit ses mains dans ses poches, pour les protéger du froid. Sa propre attitude l'étonna. Elle, d'habitude qui ne craignait pas le froid voilà qu'elle devait s'en protéger ! Peut-être que le fait d'abriter une seconde vie au creux de ses entrailles, rendait son kami plus vulnérable...
Elle s'engagea dans l'allée menant aux pavillons secondaires. Depuis quelque temps, elle essayait de maintenir Raiu à l'écart de sa vie, prétextant un manuscrit qui avait pris du retard. Elle abrégeait leurs soirées afin qu'il ne découvre pas son secret. Elle avait peur de sa réaction, craignait qu'il ne la rejette s'il venait à apprendre qu'elle attendait un enfant.
Après tout... il pouvait penser qu'elle se moquait de lui et que cet enfant était celui de Taiyou et non le sien ! Lui faisait-il réellement confiance ? Était-il prêt à assumer leur relation face aux autres, face au Maître ? Oseraient-ils faire face aux médisances, — ils n'étaient pas mariés et Aisu passait pour être la maîtresse en titre de Taiyou —, que ne manquerait pas de déclencher leur histoire si une langue indiscrète venait à la dévoiler ?
Malgré ses peurs, Aisu avait pris une décision et s'y tiendrait : elle refusait de cacher ses sentiments plus longtemps. Elle aimait Raiu et c'était avec lui, qu'elle désirait construire son avenir, alors pour lui et son enfant, elle était prête à courir tous les risques. Au diable Taiyou et tous ces parasites gravitant autour de lui ! Elle était prête à assumer désormais son existence.
Sans compter qu'elle ne pouvait pas mentir davantage à Raiu : il devait savoir qu'elle portait son enfant. Et ensuite ? Ensuite... quelle que soit la réaction de son amant — l'acceptation ou le rejet— elle était décidée à garder cet enfant et à l'élever loin du Manoir, loin de cette malédiction...
Comme pour se donner du courage, Aisu effleura son ventre d'une tendre caresse et s'arrêta pour le contempler. Un sourire épanoui se dessina sur ses lèvres lorsque ses doigts rencontrèrent le doux renflement que formait son enfant à travers le tissu de sa chemise. Qu'importe que Raiu veuille ou non de cet enfant, elle, elle l'adorait déjà !
— Aisu-san.
L'écrivain releva la tête et retira sa main de son ventre en un geste de défense, car devant elle, se dressait, tel un oiseau de mauvais augure, l'une des favorites de Sen Kamiaku.
La jeune domestique à peine plus âgée que Aisu, passait pour être l'espion et la confidente de sa maîtresse. Un poil plus grande qu'Aisu, la jeune femme possédait un visage ingrat, constellé de petites cicatrices, restes d'une petite vérole mal soignée, contrastant avec la figure aux traits gracieux de sa chère maîtresse qu'elle vénérait plus que tout au monde. Les deux femmes, malgré leurs différences de rang et d'âge, étaient liées par un goût commun pour les intrigues et rivalisaient toutes deux en perfidies.
Le regard globuleux de la domestique se posa sur le visage d'Aisu avant de descendre jusqu'à son ventre. Se sentant menacée, la maudite referma les pans de sa veste et prit un air hautain.
— Que voulez-vous ?
Un curieux sourire apparut sur les lèvres blêmes de la disgraciée, révélant une dentition gâtée par de nombreuses dents cariées.
— Vous désirez voir Raiu-san ? s'enquit-elle d'un ton hypocrite qui ne laissait présager rien de bon...
— Oui, pourquoi ? répliqua Aisu dans un froncement de sourcils méfiant. Savez-vous où puis-je le trouver ?
— Il se trouve au chevet de Sen-sama. Si vous désirez, je peux vous y accompagner... à moins que vous ne préfériez l'attendre devant son pavillon, mais je vous le déconseille, vous risqueriez de mourir de froid avant son retour.
La domestique voulut la prendre par le bras mais Aisu se déroba à ce geste de fausse amitié.
— Je crois que je suis capable de trouver les appartements de Sen par moi-même ! riposta la jeune femme avant de tourner les talons.
— Comme il vous plaira, Aisu-san. Dois-je avertir le Maître de votre présence ?
Aisu lui coula un sombre regard.
— Je ne vous ai rien demandé à ce que je sache ! Vous pouvez disposer !
— Bien, Aisu-san, répondit la créature tout en s'inclinant respectueusement devant elle.
L'ingrate lui adressa un dernier sourire méprisant avant de s'éloigner en direction du Manoir. Aisu demeura là, immobile pendant quelques instants. Elle ne savait que faire : devait-elle attendre Raiu ou aller à sa rencontre ?
Un éclat de rage traversa son regard : et puis, pourquoi se trouvait-il auprès de cette garce !? Il savait pourtant combien elle détestait l'épouse de Taiyou ! Aisu serra les poings pour réprimer la sourde jalousie grognant en elle : non, elle devait arrêter de se faire des idées. Raiu n'était pas le genre d'homme à se laisser corrompre par ce type de femmes ! Elle devait lui faire confiance... mais Raiu n'était qu'un homme... et les hommes perdent si facilement la tête devant une paire de seins... même si ces derniers appartiennent à la pire des harpies, ils ne peuvent y résister !
La jeune femme poussa un grognement rageur et succombant au monstre jaloux lui tenaillant les entrailles, entra d'un pas rageur dans le Manoir.
VOUS LISEZ
Majinai
Paranormal" Sang maudit. Ta véritable nature. Ta malédiction." Kijin Akuma s'enfuit du manoir familial, les mains couvertes de sang et l'âme maudite. Après une longue errance, il trouve refuge chez Aisu Kamiaku et ses deux jeunes cousines. L'adolescent ne va...