Chapitre 47 : Blessures

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En cette journée de printemps, Aisu Kamiaku qui venait de terminer son nouveau recueil de contes, décida de rendre une petite visite de courtoisie aux Kamiaku.

Alors qu'elle marchait d'un pas vif en direction du Manoir, la jeune femme songeait à Taiyou. Pauvre Maître ! Elle devait certainement lui manquer ! Cela faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas vu, mais elle avait une bonne excuse pour se faire pardonner son absence : l'ambiance chez elle était bien plus explosive et, pour elle qui aimait les conflits, bien plus intéressante que l'atmosphère pesante de la demeure familiale !

L'écrivain s'amusait de la naïveté du pauvre Kijin qui ne voyait pas qu'il se trouvait être la proie de deux lionnes en furie ! Pas un jour ne passait sans que Juuki ou Mizu ne déclenche les hostilités, prêtes à s'arracher les yeux mutuellement pour obtenir les faveurs du tombeur en herbe. Ses conseils avaient porté leurs fruits ! Elle avait su dévergonder tout ce beau monde et savourait, en spectatrice comblée, les exploits sentimentaux de ses protégés.

Elle arriva devant l'immense propriété, un fou rire au bord des lèvres. Son rire se brisa net lorsqu'elle pénétra à l'intérieur du Manoir. Elle jeta un regard méfiant au couloir  vide de toute âme humaine. Elle n'entendait ni voix, ni cris et la demeure paraissait calme. Trop calme. En proie à un mauvais pressentiment, Aisu se dirigea vers la grande salle.

Tsuki s'y trouvait. Lorsqu'elle fit glisser la porte coulissante, l'écrivain aperçut l'ombre famélique du maudit. Cette ombre tenait par le col de la chemise, un Yuki  pétrifié par la peur que lui inspirait cette créature  malfaisante.

Tsuki offrait une très nette ressemblance avec un monstre peuplant les contes d'Aisu : son kimono trop grand était taché de nourriture et de sang. Ses cheveux crasseux pendaient  autour de sa figure émaciée et ses yeux sombres lançaient des éclats de haine pareils à des poignards. Les visages des deux jeunes maudits n'étaient séparés que par quelques centimètres. Des visages qui possédaient des traits en commun...

— Maudit bâtard ! Pourriture ! mugissait la créature tout en secouant l'enfant avec frénésie. Je te hais ! Ta simple vue me donne la nausée ! Tu ne mérites pas de venir ici, ni même de vivre ! Tu es un impur, le fils d'une sale traînée ! Jamais, tu m'entends ? Jamais tu ne prendras cette place qui est à moi ! Je te ferai crever avant, vermine ! Jamais un bâtard n'aura sa place dans ce Manoir ! Je ne te laisserai pas me voler la seule chose que je possède !

Ne pouvant en supporter davantage, Aisu s'élança vers eux. Tsuki cessa de s'agiter avant de lever les yeux vers elle. Quand elle reconnut Aisu, un rictus se dessina sur les lèvres de la créature.

— Tiens ?  Ne serait-ce pas ta chère traînée de mère, mon petit Yuki ?

Le regard que lui décrocha Aisu fit blêmir la créature. Elle relâcha le petit garçon qui courut vers Aisu. L'écrivain se pencha et accueillit l'enfant tremblant au creux de son sein. Les pleurs du petit maudit cessèrent lorsque la main d'Aisu caressa ses cheveux.

— Je t'interdis de poser les mains sur mon fils, monstre ! cria Aisu d'une voix ivre de colère.

— Quelle scène touchante mais ô combien pathétique, ricana le maudit. Dois-je te rappeler, ma chère Aisu, que tu n'es plus la mère de ce bâtard ? Depuis qu'il a quitté tes entrailles, ce parasite appartient à Taiyou, comme toi, comme moi, comme nous tous ici !

Un curieux sourire se dessina sur les lèvres de l'écrivain.

— Aurais-tu oublié, mon cher Tsuki, que Yuki n'est pas seulement le maudit de Taiyou mais aussi son héritier ? Il sera un jour, ton Maître, Tsuki.

Les poings de la créature se crispèrent  sous l'effet d'une rage qu'il ne parvenait plus à maîtriser.

— Maudite dépravée ! Je te hais ! Jamais ton bâtard ne sera le Maître des Kamiaku, jamais !

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