Dans son pavillon désert et triste, Raiu Kamiaku venait de se réveiller. Assis au bord de son lit, il songeait à Aisu.Il redressa la tête et son regard se posa sur la photographie posée sur son bureau. Sur cette photo, prise lors de leur entrée au lycée, Kaze, Aisu et lui, paraissaient bien insouciants ! L'écrivain, la seule femme du trio, se tenait entre les deux hommes de sa vie, dressée sur la pointe des pieds afin de paraître plus grande. Déjà rebelle, elle avait refusé l'uniforme scolaire féminin pour adopter le même que celui de ses deux meilleurs amis ! Même perdue dans un uniforme trop grand pour elle, Aisu était toujours séduisante avec son sourire radieux et cette lueur malicieuse pétillant dans ses yeux clairs. Près d'elle, Kaze aux cheveux orange relevés en pique, bombait crânement le torse, peut-être parce que celui ou celle qui avait pris la photo était un adorable ou une jolie camarade de classe... Raiu, lui, posait gravement, ses deux yeux fixés sur l'objectif.
Un tendre sourire apparut sur les lèvres du médecin lorsqu'il se remémora cette période désinvolte de leur jeunesse : même maudits, ils se croyaient heureux. Kaze n'avait pas encore lâchement abandonné sa petite sœur ; Aisu elle, n'intéressait pas le Maître et portait un regard optimiste sur le monde qui l'entourait et lui, même s'il avait perdu sa mère, se sentait en sécurité avec ses deux camarades. Dire qu'à cette époque, il considérait Aisu comme une amie ! il veillait sur elle, tel un grand frère protecteur, parfois jaloux lorsqu'un jeune homme s'approchait un peu trop près d'elle...
Raiu poussa un long soupir et détacha son regard de la photographie. Voir le visage radieux de Aisu, même sur papier glacé, ravivait en lui des plaies encore non cicatricées. Elle lui manquait atrocement et cette absence, lui pesait chaque jour davantage ! Il venait de la perdre à nouveau, comme il l'avait perdue quelques années auparavant en l'abandonnant à son sort, en lui arrachant son enfant. Pourquoi n'allait-il pas la voir pour tenter une réconciliation? Parce qu'il ne trouvait pas le courage nécessaire pour l'affronter. Affronter ses reproches, ses insultes et ses piques alors que lui, ne désirait qu'une chose : lui avouer à quel point il tenait à elle. Par orgueil et par fierté. Il s'était senti blessé dans son amour-propre lorsqu'elle s'était livrée à cette comédie avec Taiyou ! Humilié comme lors de cette nuit d'hiver où elle avait donné le jour au fils de son rival...
Le jeune homme passa une main tremblante dans sa chevelure hirsute. Il pensa à sa conversation, la veille avec Kaze. Chaque soir depuis leur expédition ratée au bord de la mer, le pauvre médecin avait droit au coup de fil de son cousin. Celui-ci, avec sa retenue habituelle, il lui avait confié que Aisu se trouvait dans un : « état de délabrement gravissime » et que lui, Raiu n'était rien qu'un « sans- cœur insensible, bouché chronique et jaloux égoïste ». Que pouvait savoir Kaze de ce que lui, Raiu, ressentait ? Même s'il tentait de le dissimuler, il souffrait de ne plus la voir...
Il se leva en repoussant rageusement les draps. Son regard se posa sur l'adorable petit boxer rouge qu'il arborait en guise de sous-vêtements. Un cadeau bien entendu signé Aisu pour célébrer son vingt-troisième anniversaire.
Ce jour-là, un brin éméchée après qu'il eut annoncé son prochain mariage avec Hana, elle lui avait susurré des avances au creux de l'oreille, sous le regard jaloux de sa fiancée. Raiu bien que gêné, n'avait pu s'empêcher de lui sourire avec tendresse. Chère Aisu ! Elle était si adorable lorsqu'elle était ivre et que le rouge lui colorait les joues...
Hana. Lorsqu'elle l'avait abandonné pour partir en Europe, il avait cru qu'il en mourrait. Il avait eu tort. Il avait réussi à surmonter son absence, son visage d'ailleurs, n'était plus qu'un souvenir flou, sans saveur particulière. Hana était une Kamiaku non maudite. Douce, réservée, discrète et très féminine, elle était tout le contraire d'Aisu ! Il avait cru l'aimer... Taiyou avait même béni leurs fiançailles sans protester, après tout, la vie intime des maudits mâles lui importait guère ! Contrairement à celle des femmes...
Le jeune homme décrocha un sombre regard à la Aisu de papier avant que celui-ci ne se change en un regard empli de tristesse. Il ferma les yeux et laissa la petite voix qui le tourmentait depuis cette nuit funeste s'infiltrer dans ses pensées. Cette voix malicieuse, prenant plaisir à le narguer et qui, étrangement, ressemblait à celle de l'écrivain. Il ne put réprimer un soupir. Son corps, comme son esprit, se souvenait encore des caresses et autres baisers échangés avec Aisu. Il lui semblait que le parfum de la maudite était encore gravé dans sa peau et que son souffle se perdait au creux de son oreille.
Raiu, contrairement à Kaze ou Aisu, pouvait se passer de la tendresse ou de l'affection d'autrui. Il n'avait connu que très peu de femmes au cours de son existence, trois seulement avait réellement compté : sa mère, Hana et surtout, Aisu. La mère, la fiancée et l'amante. Sa mère lui avait appris la générosité et le respect ; Hana, elle, la vie de couple et une vie presque-normale. C'était avec Aisu, qu'il avait découvert le véritable amour et tous les sentiments qu'il implique : le désir de possession, la passion, la jalousie. Cet amour qui vous ronge de l'intérieur avant d'éclater au grand jour et qui finit par vous pourrir l'existence. Celui qui mêle habillement les griseries de la tendresse et la douceur de la folie. Aisu, celle qui en une seule nuit, avait réussi à briser sa vie certes maudite, mais paisible, si rangée. La femme qui avait fait voler en éclats son respect pour les lois de son Maître, celle qui avait détruit son futur si parfaitement tracé. Aisu. Ce simple nom, à la fois haï et adoré provoquait en lui, un déferlement de pensées et de souvenirs qu'il ne parvenait plus à maîtriser.
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Majinai
Paranormal" Sang maudit. Ta véritable nature. Ta malédiction." Kijin Akuma s'enfuit du manoir familial, les mains couvertes de sang et l'âme maudite. Après une longue errance, il trouve refuge chez Aisu Kamiaku et ses deux jeunes cousines. L'adolescent ne va...