Majinai

Chapitre 103 : La Mort en hiver (2)

Un éclair déchira le ciel et noya la chambre d'une lumière rouge, pareille à celle du sang. Tsuki ferma les yeux. Un cri déchirant, qui n'avait plus rien d'humain la ramena à ce qui était sa réalité. Elle ouvrit les yeux et se tourna vers les deux adversaires.

La silhouette de Kijin-Majinai était inondée de cette flamboyante lumière, du sang glissait le long de son visage et de ses griffes, et un sourire triomphal était accroché sur ses lèvres. Face à lui, ou plutôt à ses pieds, se tenait un Asahi-Taiyou, prostré au sol, le visage lacéré de toutes parts et qui n'avait plus rien d'humain ou d'animal : ce visage, dont il tenait une certaine fierté, n'était plus qu'un amas de lambeaux de chair et d'os.

Le kami solaire eut un cri plaintif, auquel son Maître répondit par un sourire malfaisant, avant de brandir ses griffes afin d'asséner le coup de grâce.

— Pitié, gémit la créature couverte de sang, pitié, Kijin...

Ce cri pathétique frappa Majinai. Son enveloppe charnelle reprit le dessus et Kijin retrouva son apparence humaine. Le jeune homme ouvrit les yeux et la première chose qu'il sentit fut l'odeur chaude et âcre du sang incrustée dans sa chair. Il mit quelques secondes avant de retrouver ses repères. Il baissa la tête et aperçut le corps mutilé de Taiyou. Le Maître tendit ses bras ensanglantés vers lui, tout en le suppliant d'épargner sa vie.

Des sanglots hystériques saisirent son corps fatigué par le combat qu'il venait de livrer. Ses genoux se dérobèrent sous lui et le firent chanceler. Il posa un regard horrifié à Taiyou. Il était si proche de lui qu'il pouvait son odeur. Une odeur de presque-mort. Une odeur nauséabonde, insoutenable.

Une perle de sang jaillit des lèvres de Taiyou et sa supplique devint un râle apeuré. Kijin se plaqua la main contre la bouche pour réprimer une vague nauséeuse. Lui qui s'était juré de ne plus se comporter en monstre ! Lui qui ne voulait plus être un assassin ! Majinai une fois de plus, avait pris le dessus ! Il ne souhaitait pas la mort de Taiyou, simplement libérer les Kamiaku de son emprise !

Percevant la culpabilité de l'adolescent, Taiyou tourna la tête vers lui, sans rien lui épargner des immondes blessures infligées à son visage.

— Kijin... Laisse-moi vivre... Pitié.

Kijin eut un petit signe de tête, accordant par ce geste, la grâce à cet ennemi fourbe. À quoi bon laisser Majinai le tuer ? Taiyou Kamiaku n'était plus rien, et devrait vivre, seul, avec le poids de ses crimes pour seule compagne.

Un gémissement fit réagir Kijin. En dépit des mises en  garde de Majinai, lui ordonnant de laisser reprendre le contrôle pour éliminer leur adversaire, le jeune homme se releva. Il tourna le dos au Maître déchu et se précipita vers Tsuki.

La jeune fille eut un faible sourire en le voyant. Il se glissa à ses côtés et vit avec horreur que le tissu de son kimono était maculé de sang. Il voulut la rassurer, lui jurer que tout se passerait bien et qu'elle pourrait guérir, mais ses promesses se perdirent dans un sanglot.

Tsuki, rassemblant ses ultimes forces, passa une main amoureuse dans la chevelure collante de sueur et de sang de son amant incliné vers elle.

— Ne pleure pas Kijin, murmura-t-elle dans un souffle. Tu m'as aimée... je t'en remercie.

Le jeune homme lui jeta un regard désespéré avant de s'accrocher à la manche de son kimono.

— Je ne veux pas te perdre. Reste avec moi... Je t'en prie.

Il ne put achever sa phrase et enfouit son visage contre la poitrine de l'ancienne maudite. Tsuki noua ses bras autour de ses épaules et le berça lentement. Tous deux, les yeux clos, tentaient de se consoler de leur séparation prochaine en s'enivrant de  la chaleur de l'autre.